Il n'était pas rare que la jeune Gryffondor aux cheveux courts décide de se balader dans le parc du château. C'était là où elle se sentait le plus libre. Elle n’était pas ici par hasard. Rien, chez elle, n’était jamais le fruit du hasard.

Elle avait perçu cette tension avant même d’atteindre l’orée du sentier. Une vibration imperceptible dans l’air glacé, comme si la neige elle-même lui murmurait qu’elle n’était pas seule. Ses lèvres s’étirèrent en un sourire imperceptible – pas un sourire chaleureux, mais un éclat fugace d’amusement, teinté de défi. Quelqu’un l’observait. Elle n’avait pas besoin de tourner la tête pour en être certaine.

Anthéa ralentit légèrement sa marche, inclinant à peine la tête, comme si elle écoutait un chant lointain que personne d’autre ne pouvait entendre. Ses instincts lui soufflaient que l’intrus n’était pas une menace, mais plutôt une curiosité – un éclat d’énergie timide, mal dissimulée derrière le couvert des arbres. Cela suffisait à retenir son attention.

Ses yeux – deux lames d’acier clair dans ce monde de givre – balayèrent la scène. Rien ne semblait leur échapper : ni les pages jaunies du livre sur ses genoux, ni la manière dont ses doigts s’étaient figés, comme pris en faute. Un léger sourire effleura ses lèvres, presque imperceptible, mais il était là, fugace, avant qu’elle ne détourne à nouveau son attention.

Pour Anthéa, l’instant n’était pas anodin. Chaque détail, chaque sensation contribuait à alimenter ce qu’elle appelait son "instinct". Une perception vive, presque animale, du monde autour d’elle. Le jeune homme sous l’arbre – son immobilité, son regard insistant mais respectueux – lui donnait l’impression qu’il était plus qu’un simple spectateur de cet après-midi figée dans la neige. Il émanait de lui une certaine curiosité, une force tranquille, et quelque chose de plus subtil, de plus difficile à cerner.

Elle fit mine de ne pas l’avoir remarqué, reprenant sa marche avec une assurance calculée. Mais au lieu de s’éloigner, elle prit un chemin qui la rapprochait légèrement de sa position, un angle qui lui permettrait de l’observer à son tour sans en avoir l’air. Pas par méfiance, non, mais par ce même besoin instinctif de lire l’autre avant d’initier tout contact.

Quand elle fut suffisamment proche pour entendre le bruissement léger des pages qu’il tournait à nouveau, Anthéa finit par s’immobiliser, ses bottes s’enfonçant légèrement dans la neige. Elle leva une main gantée et caressa distraitement une branche alourdie par le givre, envoyant une pluie de cristaux scintillants tomber à ses pieds.

- L’étude des sorts de protection en plein hiver ? lança-t-elle d’une voix claire, presque musicale. Une décision… inhabituelle. C'’est rare de croiser quelqu’un ici. La plupart évitent cet endroit en hiver. Trop froid, trop silencieux.

Elle ne sourit pas vraiment, mais son regard brillait d’une lueur à la fois espiègle et pénétrante. Ses mots n’étaient pas un reproche, ni même une véritable question. C’était une ouverture, une invitation tacite à dévoiler une part de lui-même.

Anthéa pencha légèrement la tête, détaillant maintenant Dothael sans chercher à masquer son intérêt. Elle notait tout : la manière dont il soutenait ou évitait son regard, l’expression de son visage, et même l’attitude générale de son corps. Elle n’avait pas besoin d’un long discours pour comprendre les gens ; leur énergie parlait pour eux. Et lui, avec ses boucles rousses et son air concentré, émettait une aura singulière qui piquait sa curiosité.

- Mais je suppose qu’il y a toujours une raison, ajouta-t-elle, plus doucement cette fois, comme si ces mots étaient destinés à flotter dans l’air autant qu’à lui.

Le vent souleva doucement les pans de sa cape, et Anthéa se tint immobile, attendant sa réaction. Elle ne cherchait pas à le mettre mal à l’aise, mais elle ne craignait pas non plus d’aller droit au but. L’échange, quel qu’il soit, avait déjà commencé dans son esprit. Elle aimait ces moments, ces rencontres inattendues qui semblaient porter en elles un potentiel mystérieux.

Anthéa ne répondit pas tout de suite. Elle prit le temps d’écouter, de laisser les mots de Dothael s’inscrire dans l’air glacé entre eux. Le vent continuait de jouer dans ses cheveux sombres, ajoutant à son allure énigmatique, tandis que son regard clair restait fixé sur lui, comme si elle cherchait à démêler quelque chose d’invisible. Il avait raison sur un point : elle ne faisait jamais rien sans raison. Mais ses paroles, simples et sincères, avaient éveillé en elle une pointe d’admiration, bien qu’elle se garde bien de le montrer.

Elle avança d’un pas, ses bottes mordant doucement la neige, jusqu’à ce que la distance entre eux permette à sa voix de se faire entendre sans être emportée par le souffle du vent.

— Le vent, les arbres, le givre, le silence… Je ne cherche rien de plus grand que ça aujourd’hui, murmura-t-elle, sa voix aussi calme et posée que le paysage qui les entourait.

Elle croisa les bras, sa cape flottant légèrement autour d’elle, et adopta une posture décontractée mais maîtrisée. Chaque mouvement, chaque regard dénotait une intensité sous-jacente, un contrôle qui semblait inné. Ses yeux, perçants et lumineux, ne quittèrent pas ceux de Dothael lorsqu’elle reprit, un ton plus réfléchi.

— La magie… ce n’est pas qu’une affaire de bien ou de mal. Ni simplement une arme ou un bouclier. C’est une force vivante. Elle répond à celui qui la manie, oui, mais elle exige surtout une chose : qu’on sache ce qu’on veut vraiment.

Elle marqua une pause, comme pour laisser ses mots s’imprégner dans le silence enneigé, avant de continuer.

— Tu penses qu’elle protège ? Moi, je crois qu’elle teste. Elle cherche à voir si on est digne d’elle. Elle ne se contente pas de suivre des ordres, elle réclame qu’on l’embrasse, qu’on la comprenne, qu’on la guide et qu’on s’y abandonne à la fois. Alors oui, les sorts de protection sont essentiels. La magie, peu importe son usage, reste une extension de ce que nous sommes. Elle reflète celui qui l’invoque, pour le meilleur… ou pour le pire. Elle est destinée à le servir et à s'ériger pour lui.

Un sourire effleura ses lèvres, accompagné d’un léger rire presque inaudible, comme si elle venait de se prendre au piège de ses propres pensées. Elle baissa les yeux un instant, pesant ses paroles, puis planta de nouveau son regard dans celui de Dothael. Cette fois, il y avait une lueur plus intense dans ses yeux, une curiosité qui ne cherchait pas à se cacher. Elle admit volontiers avoir été démasquée sur ses observations, tout en affichant l'air de celle qui s'en fichait.

— J’avoue, je t’ai observé. J’ai vu ton blason, ton manuel… Et tu as cet air encore un peu hésitant, comme beaucoup de premières années. Alors oui, je m’en doutais.

Elle marqua une pause, avant de continuer avec une légère inclinaison de la tête, comme pour appuyer ses mots.

— Oh, et je m’appelle Anthéa. Anthéa Anderston. Je suis en sixième année, à Gryffondor.

Elle se redressa légèrement, attendant de voir sa réaction. Si Dothael était de sang pur et avait des liens avec la société sorcière britannique, il connaissait probablement ce nom. Les Anderston, une vieille famille de sorciers, étaient connus pour leur héritage et leur influence. Mais Anthéa n’ajouta rien de plus, laissant à ses mots et à son nom le soin de provoquer l’effet voulu.

Le silence s’installa à nouveau, troublé seulement par le vent. Ses yeux restaient rivés sur lui, guettant la moindre étincelle de reconnaissance ou d’étonnement. Elle n’était pas là pour se vanter, mais elle savait que son nom, comme sa présence, avait un poids. Le Poufsouffle était en quelque sorte un objet de curiosité complexe, et une distraction bienvenue, avec un caractère intelligent.

Anthéa observait Dothael avec une intensité tranquille, ses yeux scrutant le jeune Poufsouffle qui se tenait devant elle. Il était différent des autres élèves de Poudlard, à bien des égards. Sa voix, calme mais imprégnée d'une sincérité rare, résonnait avec un écho qui semblait se frayer un chemin au-delà de ses paroles. Elle l'écoutait, chaque mot et chaque silence, comme si son discours était un puzzle qu'elle devait assembler pour comprendre la profondeur de ce qu'il exprimait. Mais plus que tout, ce qui captait l'attention d'Anthéa, c'était la manière dont il se tenait là, en face d'elle. Pas avec arrogance, mais avec une certaine vulnérabilité qui l'étonnait, elle qui était habituée à ce que les autres se cachent derrière des facades plus solides.

Elle n'avait pas besoin d'user de ses talents, ou de son apprentissage de la légilimancie. C'était presque trop facile. Non, c'était trop facile. Dothael était un garçon assez naïf, jeune, loin du quotidien de manipulations dans lequel elle baignait. Non, il était un livre ouvert bien inconscient du monde qui l'entourait. Au moins espérait-elle qu'il avait déjà compris que l’apprentissage n'était pas un chemin tout tracé, mais un parcours semé d'embûches, où chaque décision pouvait le mener vers un but plus grand.

Sinon, cela ne servait à rien qu'il se livre ainsi. Elle se rappelait évidemment de sa position, à son âge. Elle avait appris cette leçon : il ne fallait jamais se livrer sans au moins espérer pouvoir obtenir quelque chose en retour. "Je suis à Poudlard pour devenir meilleur," avait-il dit. Mais ce n’était pas qu’une question de pouvoir. C’était une quête personnelle, un besoin irrépressible de réparer ce qui avait été brisé. Elle pouvait presque voir la douleur derrière ses mots, la fissure dans son âme qui se dérobait à toute lumière.

Mais il n'était pas brisé. Il n'avait pas à l'être. Pas encore, pas à son âge. Elle avait-elle quelque chose à lui apprendre ? C’était un défi indirect, une invitation à lui faire comprendre que leurs destins étaient liés, même sans qu’il n’en ait pleinement conscience. Un défi que le monde semblait lui lancer. Elle avait échouée à cette tâche auparavant, car elle n'était pas prête. Sa soeur en avait souffert. Pouvait-elle rendre cela différent aujourd'hui ?

- Tu n’as pas à t’inquiéter de me décevoir, répondit-elle finalement, sa voix douce mais pleine d'une sagesse qui semblait avoir traversé les âges, et bien plus que dix-sept hiver. Ce n’est pas une question de te prouver à moi, Dothael. C’est une question de te prouver à toi-même. Et ça, seul toi peux le faire. Je ne te ferai pas l'affront de te dire qu'une seule personne doit compter pour toi, tu le comprendras bien assez tôt.

Un sourire éclaira ses lèvres, un sourire empli d’une promesse silencieuse. Ce serait un chemin difficile, mais peut-être qu’ils avaient tous deux des rôles à jouer dans cette rencontre, des rôles qu'ils ne comprendraient pleinement qu'au fur et à mesure qu'ils avanceraient.

Cela devait être différent.

- Si le destin a décidé que j'avais quelque chose à t'apprendre, ainsi soit-il.