Il filait à travers les couloirs comme une pensée qui traverse l'esprit. Troisième étage, la Spinnet. Sans perdre l'habitude de monter les marches, deux par deux, ses doigts effleuraient les rampes de pierre. Froides. Comme la Spinnet. Pourtant, elle ne manquait pas de conquêtes. Un véritable modèle de liberté ou de solitude, au choix. À l'époque, il était un peu jeune pour s'en mêler. De sa première à sa septième année, il s'était surtout amusé à remettre en question ses cours, ainsi que sa pédagogie. Il avait passé des années à la défier, juste pour le plaisir. Mais lequel ? Lui-même s'interrogeait. Ce qui était sûr, c'est qu'il lui avait causé beaucoup trop d'ennuis. Ceux qu'on aimerait éviter ou bien ne pas connaître. La réciproque était vraie, elle lui en avait causé aussi. Logique et mérité. Jeune adulte, il avait mûri. Pas sans remords. Ceux qu'on cache sous le tapis. Ceux auxquels on pense, une fois la nuit tombée. Mais il n'avait pas tellement changé... C'est juste qu'il commençait à comprendre ce qu'elle lui avait appris. Arrivé devant la porte de son bureau, il s'arrêta un court instant. Même s'il n'avait pas gardé trop de souvenirs amers de la Spinnet, il n'était pas certain de l'accueil qu'il allait recevoir de sa part, ce soir. Il inspira alors profondément, réajusta son col et appuya sur la poignée. Puis il poussa la porte, sans prévenir. Il espérait seulement ne pas la surprendre en train d'embrasser quelqu'un. Pitié, qu'elle lui épargne cette vision d'horreur.

- « Professeur Spinnet, ravi de voir que vous exercez toujours. »

C'était dans un claquement qui se voulait sourd, que la porte s'était refermée derrière lui. Navré pour ses oreilles. Assise derrière son bureau, la Spinnet avait au moins fait l'effort de lever les yeux de son bouquin... Un énième roman à l'eau de rose, sûrement. Très peu de choses avaient changé et c'était rassurant. Son regard restait perçant. Son intelligence, acérée. Son irritation, à peine voilée. D'une élégance glaciale et froide, il ne s'attendait ni à mieux. Ni à pire. Difficile de juger un état d'esprit qu'elle se gardait bien de dévoiler. Au moins, elle ne l'avait pas déjà jeté dehors. Pas encore. Mais c'était presque écrit. Et c'était plus précisément, une question de temps.

- « J’ai croisé Eurydice, tout à l’heure. Elle était charmante. Et son sourire... À tomber. »

Tandis qu’il s'avançait de quelques pas, un rictus amusé prenait place au coin de ses lèvres. Il n'en faisait pas trop. À vrai dire, il en faisait à peine assez. Assez, pour que les doigts de la Spinnet se contractent légèrement. Ou du moins, c'est ce qu'il espérait.

- « Et je me suis demandé ce qu'elle pouvait bien faire avec quelqu'un qui est son exact opposé. »

Initialement, il n'était pas venu pour ça. Pas pour continuer son petit jeu de provocation entamé des années auparavant, et qu'il pensait malgré lui, s'être consumé entièrement... Avant que ses vieux démons ne remontent à la surface.