Ses hauts talons claquaient au sol dans les rues londoniennes. La sorcière revenait d’une soirée, encore. On pouvait sentir des effluves de gin, on pouvait croire qu’elle le portait comme un parfum mais la vérité était que la jeune femme avait bien profité de la petite fête à sa manière. Elle n’était pas assez ivre pour tituber cependant. Une soirée comme les autres en somme. Encore et toujours les mêmes têtes, les mêmes sujets de discussion et surtout, les mêmes parasites du Ministère qui s’incrustaient. Lorsqu’elle en voyait un, Addison disparaissait.

Son demi-frère, désormais Chef des Aurors, avait réussi à la faire passer pour morte, un coup de maître. Mais têtue comme une mule, elle avait voulu rester encore un peu à Londres, profiter de sa jeunesse comme elle le disait souvent. Avec cette impression qu’on la lui avait volé. Mais elle s’exposait au danger de se montrer à la vue d’employés du Ministère qui la reconnaîtrait facilement. Comme les moldus, elle avait appris à se cacher. Une perruque, des lunettes de soleil, une panoplie presque parfaite pour passer inaperçue. Elle ne voulait pas retourner à Azkaban.

Addison rentrait. À pied évidemment. Elle n’appréciait pas les taxis qui semblaient lui paraître des trajets d’une éternité insoutenable. Les bouchons à Londres c’était ce qu’elle détestait. La legilimens pressait le pas, elle voulait vite retrouver le confort de son appartement. Un endroit où elle vivait pour le moment. Ce n’était pas aussi grand que la villa familiale, mais les travaux prenaient plus de temps que prévu et elle était mieux ici. Du moins pour le moment.

Arrivée à sa destination, la jeune femme ne remarqua même pas que la réceptionniste n’était pas là. Poussant la porte de son appartement, elle soupirait. Alors qu’elle allait retirer ses talons, la sorcière fut surprise. Son sac à main tomba au sol et elle eût l’impression de recevoir un seau d’eau glacé sur la tête.

Opale.

La femme qu’elle avait eu en modèle durant des années, face à elle. La même femme qui lui avait offert un stage au sein même du Ministère. Opale Tal Moundine. Il en fallait beaucoup aujourd’hui pour qu’Addison soit choquée, elle n’était plus cette même adolescente étourdie et peu sûre d’elle, mais elle n’en restait pas moins légèrement nerveuse face à son ancienne mentor. Sans doute que cette dernière avait été mise au courant de sa… nouvelle identité, ou était-ce le fruit du hasard ?

Que me vaut l’honneur de ta visite ?

Elle ne prêtait jamais attention à la vie qui se déroulait sous son nez, à ce qu’il y avait autour d’elle. Non, elle était trop étourdie pour ça et trop… dans la lune comme son demi-frère disait souvent. Un brin rêveuse. La tête dans les nuages, c’était dans sa nature.

La sorcière commençait à se dire qu’elle aurait sans doute mieux faire de revenir ivre à l’appartement. Cela aurait évité qu’elle se sente comme devenir un vulgaire glaçon qui fondait à vue d’œil face à son ancienne chef.

Eh merde.

Elle déglutit.

La legilimens ne le montrait pas, mais elle était de plus en plus nerveuse. Ce n’était pas par manque de respect mais par habitude qu’elle s’exprimait. Elle avait rarement des conversations où le vouvoiement était de mise. Depuis leur dernière rencontre, beaucoup de choses avaient changé. Addison n’était plus aussi troublée par ses peines de cœur, mais elle n’était plus la même personne non plus. Un tatouage, des frasques innombrables ainsi qu’une arrestation, plus rien n’était comme avant. Difficile de dire à celle qu’elle avait admirée qu’à présent, elle était morte aux yeux du Ministère parce qu’elle s’était enfuie de la prison suite à son arrestation pour de nombreux crimes. Mais Opale aussi semblait différente. Légèrement vieillie par le temps, mais toujours aussi impressionnante.

Excusez-moi. Un bilan de compétences ? Ce n’était pas banal comme situation. Je ne suis plus au Ministère.

La magie d’Opale ne montrait qu’une infime partie de sa puissance. L’ampoule était au sol, brisée, complètement. Le ton de la blonde était calme, elle luttait pour ne pas se montrer en proie à la panique face à la Tal Moundine.

Déçue ? Je pourrais en dire autant de vous.

Elle était face à son ancienne mentor, dénuée de sentiments et pourtant, un sentiment de peur l’envahissait un peu. Ce n’était pas l’insolence, mais de l’arrogance. Addison l’avait toujours été. C’était profondément ancré en elle, dans sa nature. Et tenter d’entrer dans la tête d’Opale était impossible, elle n’avait aucun ancrage tant qu’elle était prise par la peur mais aussi une pointe de honte vis-à-vis de la femme face à elle qui l’avait prise comme stagiaire et lui avait offert une chance. Et de toute évidence, la Tal Moundine était bien plus puissante qu’elle.

Une chance qui lui avait cependant permis de faire ses projets dans l’ombre et d’accéder à davantage de pouvoir. Avec le temps, la jeune femme se rendait compte qu’elle n’aurait sans doute pas dû être au Ministère, elle avait eu accès à tant de dossiers, d’idées, en lisant tout ce qui lui passait sous le nez. Elle avait pu réussir à jouer les mages noirs là où d’autres avaient échoué. La sorcière était passée sous le radar du Chef des Aurors, ainsi qu’Opale à l’époque. Innocente, presque un semblant de fragilité, cela avait été simple à ce moment-là de paraître comme la parfaite petite sorcière avide de connaissance.

Je-

Elle n’eût pas le temps de finir qu’elle fut secouée violemment et tomba au sol. Un sortilège qui lui donnait l’impression d’avoir été rouée de coups et brisée en plusieurs morceaux, la sensation que ses côtes tentaient de sortir de son corps tant cela lui faisait mal.

Mais Addison n’avait pas peur de la mort. Elle n’en avait plus peur à présent. Lorsque le sort cessa enfin et que la douleur prit fin, la jeune femme se releva à moitié, restant sur les genoux et elle sentit avec une parfaite clarté la baguette d’Opale contre sa gorge. Tout ce qu’elle voyait, c’était certes les crimes qu’elle avait commis, et encore, elle ne put s’empêcher d’avoir un léger rictus parce qu’il en manquait, la Hastings s’en moquait pas mal. Mourir était le cadet de ses soucis. Et elle avait deux portes de sortie.

J’ai fait ce que j’avais à faire. Et désormais c’est vous qui succombez à la magie noire.

Elle n’avait jamais voulu céder à la magie noire, cela n’avait jamais été le plan. Lutter contre, vouloir réussir à s’en sortir, Addison avait tenté, mais la tentation du mal avait été plus puissante. Lorsqu’elle avait réussi à créer son premier horcruxe, contre toute attente, elle ne pensait pas avoir ce talent et pourtant, c’était à ce moment précis qu’elle avait compris, elle embrassait les ténèbres et le pouvoir. Jusqu’à cet instant, elle n’avait jamais voulu être puissante et elle l’était à présent. Même si face à Opale, elle n’était rien qu’une vulgaire gamine en quête d’identité. Même là, face à celle qui était une menace pour elle, le legilimens ne lui en vouait que plus d’admiration encore.

Se retrouver face à la sorcière qu'elle avait pris en modèle faisait l'effet d'une douche froide, encore plus lorsque les mots qu'elle prononça furent d'autant plus difficiles à digérer.

Alysone n'avait jamais voulu le pouvoir, être puissante n'avait pas été dans ses projets de vie. Tout ce qu'elle voulait à l'époque, c'était réussir son plan. Un plan stupide, complètement. La sorcière ne se sortait pas de son deuil, la perte du garçon dont elle avait été éperdument amoureuse l'avait submergée, à tel point que ses actes ne tournaient qu'en ce sens. La perte l'avait rendue presque folle, elle avait joué à un jeu stupide et puéril. Remettant en doute tout ce pour quoi elle s'était battu. Remettant en péril tout ce qu'elle avait pu accomplir. A une époque, elle luttait contre la magie noire.
C'était lorsqu'elle avait commis l'acte ultime de morceler son âme pour la première fois qu'elle avait pris conscience d'aimer le pouvoir. Et pas un instant depuis, la jeune femme cessait de penser à cet instant.

Je sais parfaitement que cela signe ma mort, tout comme je sais parfaitement que j'ai commis des actes horribles au nom d'une émotion humaine complètement absurde. Mais à un certain point, vouloir revenir en arrière est impossible. Même si je le voulais.

Et il était vrai. Même s'il était possible de faire machine arrière, les actes avait été commis. Aussi odieux soient-ils. Aussi simples avaient-ils été. Elle le savait parfaitement. Il ne restait que peu d'humanité en elle, bien qu'elle voulait s'y raccrocher, c'était comme si un simple morceau de ficelle d'un millimètre retenait le tout. Prêt à céder.

Alysone sentait son ancienne chef qui s'écarter. Opale était visiblement prête à en découdre avec elle. Malgré sa furieuse envie de lui hurler dessus qu'elle ferait mieux de se mêler de ses affaires et d'autant plus de sa précieuse protégée la Dubois qui faisait bien pire, elle ne pipa mot et tentait de se montrer sereine, du moins en apparence.

Lorsque la question tomba, l'effet d'un seau d'eau glacé se transformait alors en noyade par un iceberg. Comment... comment savait-elle ? La seule personne au courant de son secret était son frère, l'actuel chef des aurors. Mais jamais Damon ne la trahirait, c'était certain. Alors d'où tenait-elle l'information ?

Comment savez-vous cela ?

La Petrova fronçait des sourcils, même si elle voyait la Tal Moundine poignard en main. Elle ne pourrait lui dire la vérité. Du moins, en partie.

Le moment précis où elle avait pleinement pris conscience qu'elle aimait le pouvoir l'avait rendu encore plus intrépide. Avide de pouvoir. Si aujourd'hui elle ressentait encore des émotions, elle n'avait plus de sentiments. Alysone n'était plus qu'une coquille vide. Et imaginer qu'elle pourrait retrouver son humanité était peine perdue.

Elle avait mal aux bras suite au sortilège de la Tal Moundine.

Tuer n'était plus difficile avec le temps, mais son ancienne chef avait tord sur un point. Depuis son évasion, elle n'avait commis aucun meurtre. Depuis des mois elle se tenait à l'écart du monde, tâchant de ne jamais se montrer, et surtout, de continuer à faire ce qu'elle savait faire de mieux, traquer un meurtrier.

Ils ne font plus partie de ma vie. Elle avait effacé les sentiments liées à Mia, sa tante, et à Stefan, qui aurait pu être sa seule porte de sortie, pour ne plus rien éprouver à leurs égards. En ce qui concerne les meurtres, je n'ai commis aucun crime depuis mon arrestation. Sinon je ne serais sans doute pas là, ni même vivante, vos informations ne sont pas à jour visiblement.

Son collier. Elle avait mis des mois à réussir à créer un bijou tel que celui-ci. Et la sorcière l'avait profané en morcelant son âme. Dès lors, elle savait qu'il était dangereux pour elle de ne pas le porter.

Qui vous dit qu'il y en a un autre ? Vous semblez bien sûre de vous.

Elle restait presque aussi immobile qu'une statue. Ne montrant aucune expression sur son visage, revêtant son masque si familier d'une personne sans état d'âme.