Des bruits sourds retentissent dans toute la salle d'entrainement. Stefan frappe, encore et encore, le même sac de boxe. Toujours plus fort, à des endroits différents. Se souvenant de son nez cassé, il remonte un peu ses poings, comme pour se protéger un coup de pied bien placé. Le descendant de vélane est trempé de sueur qui coule le long de son corps. Au bout d'une vingtaine de minute, il s'arrête, ne semble pas remarquer ses poings ensanglantés et se met en position sur un des nombreux tapis de la salle. Inlassablement, il répète le même mouvement de karaté.

Un geste de la main et des colonnes de bois recouvertes de barres sortent de terre. Elles se mettent en mouvement, changeant de place et de hauteur. Positionné d'un côté de la salle, Stefan prend une grande inspiration avant de courir en direction du mur opposé. Il esquive les premières colonnes, attrape l'une des barres pour se propulser et arrive au sommet d'une autre. Il est à mi chemin. Sa colonne se baisse un peu, le descendant de vélane y voit un moyen de sauter sur la suivante. Il s'élance mais à peine ses pieds ont-ils quitté la plateforme que celle qu'il vise rentre dans le sol. Stefan s'écrase pitoyablement au sol. Il agite la main et les colonnes disparaissent. Face contre les tapis qui recouvrent le sol, le sorcier émet un grognement de douleur. Lorsqu'il se relève enfin, c'est pour se trainer jusqu'aux deux fauteuils posés dans un coin de la salle et s'y laisser choir. L'un est recouvert de sang mais jamais il n'oserait y poser ses fesses. Stefan attrape une bouteille d'eau qui traine au sol et en boit cul sec le contenu.

La salle d'entrainement d'Opale est dans le même état qu'elle l'a vu la dernière fois qu'elle y est venue. Le bulgare n'a rien touché, il se contente de l'utiliser comme gymnase.


La petite voix provient d'un tout aussi petit elfe. Sa tête est énorme. Stefan lui adresse un petit sourire depuis son fauteuil et les yeux de la créature manque de sortir de leur orbite face à son torse. Miskeen est la seule des elfes de Camille à bien l'aimer.


S'extirper du fauteuil s'avère être une tâche bien compliquée mais Stefan y parvient, non sans lâcher quelques insultes à faire pâlir d'envie Weshalor. Tout son corps le fait souffrir.


Deux craquements sonores se font entendre alors que l'homme et l'elfe transplanent tout deux en direction de la propriété Dubois. La salle d'entrainement d'Opale est plongée dans le silence, attendant patiemment le retour de la seule personne à l'utiliser dorénavant. La seule personne à savoir son emplacement.


La château français grouille de monde. Des sorciers en costume, des sorcières en belles robes, tous sont là pour le spectacle. Ledit spectacle est dégoulinant de sueur, sans t-shirt et se faufile discrètement dans les couloirs accompagnés d'un elfe de maison qui trottine difficilement à ses côtés. Une adolescente de quinze ans, à peine, le surprend et pousse un petit cri à sa vue. Stefan soupire, met un doigt sur sa bouche et poursuit son chemin, bien conscient que les yeux de la jeune fille sont encore sur lui.

Enfin, la porte de sa chambre, leur chambre, émet un grincement rassurant et le Dashkov se faufile discrètement dans la pièce. Miskeen recule, le détail de la tête aux pieds et pousse un petit couinement, ils ne vont jamais être prêt à temps ! Elle entre dans la pièce attenante, une salle de bain à l'immense baignoire qui se remplit d'une eau très chaude. Le descendant de vélane se déshabille rapidement et pénètre dans le bain moussant, la chaleur détend ses muscles endoloris par l'entrainement.


Sa main attrape la gazette du sorcier que lui tend l'elfe, cela a pour résultat de flétrir le papier à cause de l'eau. La Une s'étale sous ses yeux bleus tempêtes et le portrait enchanté de Pierre de la Serre, plus resplendissant que jamais, lui fait un clin d'oeil. Son coeur se serre, il pleurerait presque. Le descendant de vélane repose la gazette sur les bords du bain avant de s'immerger dans le savon.


Dans une des innombrables salles de réception du château, aménagée pour l'occasion, patientent plus ou moins calmement les sorciers et sorcières occupant les postes les plus prestigieux de l'Organisation. Tous commencent à se demander où est passé le nouveau jouet de Camille Dubois, celui qu'on leur présente officiellement. Aujourd'hui, Stefan Dashkov reçoit Pertho, la rune qui l'enchainera toute sa vie à l'Organisation et à sa future épouse.


L'eau l'enveloppe toujours, calme, rassurante. Des bruits de pas se font entendre mais le bulgare n'est pas encore prêt à ressortir affronter l'Organisation. Il pense à la Une de la Gazette et se jure d'acheter le torchon de Pierre de la Serre, rien qu'en mémoire de cette sorcière qui lui a un jour cassé le nez.

L'eau est rassurante. Elle l'enveloppe, le réchauffe, soulage ses membres fatigués. Stefan y est aussi bien que dans le ventre de sa mère. Il y retrouve le calme qu'il a ressentit lorsqu'il était partit si loin dans son propre esprit. Il pourrait presque entendre Adlina lui parler, lui chanter une berceuse, lui caresser les cheveux. Le descendant de vélane reste plongé dans son bain, il retient sa respiration. Ses poumons se vident peu à peu de leur oxygène, l'homme ressent une forte brûlure au niveau de la gorge, de l'inconfort. Pourtant, il ne semble pas décidé à remonter à la surface. Miskeen le regarde faire, n'intervient pas. Depuis qu'il est rentré de son lieu de captivité, depuis que Camille est allée le chercher au plus profond de son esprit, Stefan semble avoir besoin de ces moments dans l'eau, loin de tout. C'est comme s'il cherchait à retourner, encore et encore, dans cet état de semi conscience. Et qu'il en revenait, à chaque fois. Les bruits de pas se rapprochent de plus en plus, enfin l'homme se décide à ressurgir. Ses yeux tempêtes rencontrent ceux de sa fiancée mais son visage reste impassible. Il tend la main, attrape le journal et le roule en boule.



Mentir à une puissante légilimens n'est peut-être pas la meilleure idée. Le descendant de vélane jette la petite boule formée par le journal plus loin. Il s'extirpe difficilement du bain, créant des remous dans celui-ci. La vision qui s'étale sous leurs yeux est assez particulière : Stefan a le corps recouvert de divers bleus et de petites entailles, elles dessinent une carte d'étoile sur sa peau. Ses poignets, quant à eux, affichent toujours de fines cicatrices, souvenirs déplaisants de son rituel de sang. Le bulgare s'essuie le corps à l'aide de la serviette bleue que lui tend Miskeen.

Ses souvenirs lui sont revenus, pour le meilleur et le pire. Stefan se souvient d'Opale Riders. Par conséquent, il sait qu'il a fait une promesse qu'il n'est pas sûr de pouvoir tenir. Il aurait du la laisser lui casser bien plus que le nez. Néanmoins, le sorcier remercie le ciel qu'Opale ai rendu inaccessible à Camille cette information contenue dans son cerveau. Maintenir la française sur le droit chemin sera bien plus facile si elle n'apprend jamais l'existence de cette promesse.

Le Dashkov détaille sa fiancée du regard, un sourire triomphant s'étire sur ses lèvres. Son regard se pose sur la bague, une pierre plus noire que l'âme de Camille qui se détache de sa peau blanche. Elle va l'épouser, elle a promis. Il a faillit qu'il manque de mourir pour qu'elle accepte.


Leur plaire à tout prix. Stefan est encore le petit enfant qu'il était, celui terrifié à l'idée de rencontrer la communauté magique américaine. Une fois encore, il est la bête de foire.


STEFAN, DIX ANS


L'enfant fixe son intraitable grand-mère tandis que celle-ci ajuste son costume. Il est d'une beauté angélique, presque démoniaque tant elle plait. Face à un miroir, il détaille son reflet et remarque le sourire satisfait de la matriarche Petrova. Lorsqu'il reprend la parole, sa voix est toute petite, fluette et terrifiée.



L'homme qui a laissé place à l'enfant enfile rapidement le costume trois pièces blancs que lui tend l'elfe de maison. Ce dernier attache ses boutons de manchettes représentants Pertho. L'attraction est prête, tout du moins d'extérieur, à rencontrer les familles de Sang-Purs les plus puissantes du vieux continent. Il n'a plus rien de l'athlète suant que Miskeen est venue chercher dans la salle d'entrainement.


Fin prêt, sa barbe parfaitement taillée, il s'approche de sa fiancée, l'attire à lui et dépose un chaste baisé sur son front, un petit sourire narquois sur les lèvres.

Elle ment : Lyanna n'est pas heureuse d'être là, encore moins de voir entrer dans l'Organisation un homme qu'elle exècre, un homme qui pourrait lui voler sa place d'héritière et sa place dans le coeur de sa mère adoptive. Mais ce n'est pas grave, il ne l'aime pas beaucoup non plus. Elle est trop fière, trop stupide et trop faible. Quant aux autres protégées de Camille, il n'a pas encore eu le temps de se faire une opinion sur elles. Mais ni Hope ni Catherine n'ont essayé de le brûler lorsque la mage noire les a présenté, cela les place déjà bien au dessus de la Norvégienne dans son coeur.

Tout ne va pas bien se passer. Ils ne vont pas l'aimer, vont le rejeter et jamais il ne sera un des leurs. Qui pourrait vouloir de lui ? Stefan se retient de retourner dans le calme de son bain. L'idée de faire une cérémonie pour l'obtention de la rune de l'Organisation est pourtant sienne. Il a supplié Camille de le laisser faire cette entrée tonitruante dans son monde. Il va leur montrer à tous qui est Stefan Dashkov. Il va leur montrer que l'Organisation ne sera plus jamais comme avant. D'où le costume blanc comme message. Le descendant de vélane n'est pas comme eux, pas comme Lyanna. Là où sa belle-fille souhaite le pouvoir, à l'image de sa mère, lui ne souhaite que tenir sa promesse : protéger Camille. Il n'est pas une énième arme de sa fiancée. L'homme retient un frisson lorsque les doigts gelés de la mage noire effleurent sa peau.


Ses pas retentissent dans les couloirs du château Dubois. Plus ils s'approchent de la salle de réception, plus le bruit des conversation parvient à ses oreilles. Le descendant de vélane s'arrête devant les lourdes portes en bois, réajuste son nœud papillon et prend une grande inspiration. Sa main se referme sur la poignée et pousse la porte. A son arrivée, les personnes présentes dans la pièce se taisent. Son visage n'affiche plus rien de la peur qui elle reste bien là, au creux de son coeur. Ses yeux bleus océans tempêtes se posent sur le visage de Lyanna qui affiche une envie de vomir ou de le brûler, un peu les deux. Un sourire s'impose sur ses lèvres. Sa beauté resplendit dans la pièce, bien plus rayonnante que celle de sa belle-fille à l'immonde cicatrice. La bête est revenue et elle va tous les charmer.

La douleur ressentit lui rappelle une brûlure de feudeymon. Pendant un instant, la vision de Stefan se trouble, son esprit se perd, se referme pour contrer ce qu'il ressent. Et soudain, tout s'arrête. Un tatouage orne son bras gauche, au creux du coude. La Rune, Pertho, luit doucement avant de s'éteindre, figée à jamais dans la peau du sorcier. Le Dashkov place délicatement deux doigts dessus avant de les retirer immédiatement. L'encre est comme une nouvelle veine, elle pulse au rythme de son coeur, au rythme de sa magie. Il est trop tard pour renoncer désormais.

Lyanna agit comme une enfant puérile. Il comprend désormais pourquoi Opale ne la pensait pas capable de réussir à sauver Camille, comment le pourrait-elle lorsqu'elle ne sait pas se protéger elle-même ? Stefan éprouve un mépris sans fin pour celle par la faute de qui tant de vélane sont mortes. Car si l'Iversen n'était jamais partie, si elle n'avait jamais tourné le dos à Camille, si elle ne s'était jamais rendue dans la forêt de Brocéliandre, alors elles ne seraient pas mortes et Nina Avramova aurait trouvé un refuge dans cette forêt enchantée plutôt qu'une prison. Avec des si, Stefan met le Chemin de Traverse en bouteille.

Le descendant de vélane écoute d'un air distrait le petit discours de Camille, comprenant pertinemment qu'elle essaye toujours de montrer une image aux familles les plus influentes de l'Organisation, celle d'une magie puissante, en accord entre tout ses membres. Mais il ne sera jamais comme eux, il l'a promis à Opale. Ses doigts se referment sur la pochette de glace qu'il applique sur Pertho. La fête bat son plein, certains les observent de loin, se demandent comment une créature comme lui peut bien aimer une mage comme elle. Déjà, sa future belle-fille semble prête à faire une nouvelle esclandre. Lorsqu'elle attrape son bras, la douleur revient.

Sans réfléchir, le descendant de vélane se lance à la poursuite de Lyanna. Il la rattrape alors qu'elle se trouve dans le Hall du château. Sa main se referme sur son poignet, la force à le regarder. La sorcière peut voir, plus que du mépris, une satisfaction personnelle, sans doute mu par une jalousie irrationnelle à l'encontre du lien liant la Norvégienne avec sa fiancée. Sa voix est dure lorsqu'il prend la parole, la voix d'un homme parlant à une enfant.


Il relâche enfin son bras et la laisse partir. Alors qu'elle s'apprête à passer les grandes portes, il lui lance une ultime menace.


Le bruit de ses chaussures résonne sur le marbre du sol. Stefan retourne à la fête, sa fête. Sa main se referme sur une coupe de champagne qu'il boit d'une traite. Soudain, la gravité de la situation le saisit, fait tourner sa tête. Le sorcier s'appuie contre une table, ferme les yeux. Il vient de réaliser soudain que son destin est scellé. Ses doigts effleurent la cicatrice de son poignet, remonte jusqu'à la Rune.

Il a eu l'avant, la vie sans celle mais tout cela est finit. Désormais, Stefan est à Camille, à jamais.

Les odeurs de cigares et parfums hors de prix sont entêtants. Stefan sourit, serre des mains, parle politique bien qu'il exècre ça. Son esprit est ailleurs, il pense à Lyanna, cette sorcière qu'il hait autant qu'elle lui ressemble. Nina, voilà qui le Dashov voit lorsque ses yeux se posent sur sa belle-fille. Sa mère, si fragile, perdue si loin dans les vapes de la Collyre, perdue à jamais. Et il hait l'Iversen pour les souvenirs qu'elle fait remonter à la surface.

Il boit, coupe de champagne après coupe de champagne. Après tout, cette fête est donnée en son honneur, non ? Les couleurs deviennent plus vivent mais les contours plus flous. Les bruits augmentent, frappent à la porte de son cerveau. Du sang pulse au niveau de ses tempes, il le sent, aussi sûrement que Pertho pulse, au creux de son bras gauche. A jamais. La pensée le manque de le faire vomir.

La soirée avance et lorsqu'il ne reste plus que les odeurs de cigare et de parfums hors de prix, et plus aucun invités, Stefan est déjà partit dans un autre univers, le sien, un recoin de son esprit qu'il serait bien dangereux pour Camille Dubois d'explorer. Elle le sort pourtant, sans ménagement, de sa parfaite petite bulle, tandis que Miskeen lui apporte un verre d'eau.

Qu'elle se taise. Qu'elle cesse de lui parler comme la Leadeuse et non pas comme la femme a qui il vient de sacrifié sa vie. La femme pour qui il était décidé à mourir. Ne comprend donc elle pas ? Le sorcier n'a aucune envie, au fond, de se faire accepter par l'Organisation. C'est elle qu'il veut, toute entière, rien qu'à lui. Stefan n'a pas de rêve de grandeur, pas d'avenir, il veut seulement plaire à ses Sang-Purs dans l'espoir qu'un jour, elle aussi l'aimera. Inconditionnellement. L'haleine empestant l'alcool, le descendant de vélane attrape la main qui lui caresse la joue et attire sa fiancée contre lui. Leurs corps entrent en collision en même temps que leurs lèvres. Il l'embrasse passionnément, fougueusement, comme si se perdre dans ce baiser allait lui faire oublier qu'il désire son propre bourreau. Quand enfin il s'écarte, Stefan n'a jamais autant ressemblé à une créature, un monstre de beauté. Il ne répond pas à Camille, se contente de la regarder.

Sa cravate git sur le parquet parfaitement ciré par Weshalor. Sa veste de costume blanche doit sans doute être restée dans son bureau et son bas de pantalon... Stefan n'a aucune idée d'où se trouve son bas de pantalon. Camille lui fait cet effet là, parfois. Celui de disparaitre dans une bulle rien qu'à eux, loin de la politique et de la magie, sans vêtements et sans soucis. Parfois parce que ces moments là se font de plus en plus rares, depuis qu'Opale est morte. Mais certains soirs, ils retournent tout deux dans la bulle qu'est l'esprit de Stefan, cette bulle rassurante dont seule Camille est capable de le convaincre d'en sortir. Ce même endroit où le vélane a mis un genou à terre.

Sa main se referme sur son poignet avant qu'elle ne puisse se glisser en dehors de leur lit. L'homme retient sa fiancée, l'attire contre lui. Il respire calmement, aux antipodes du souffle de Camille qui est haché. Stefan n'est pas stupide, il a remarqué qu'elle dort peu et que lorsqu'elle y arrive, la sorcière parle dans son sommeil, appelle Opale. Il sait mais parce qu'une sorte de fierté et d'égo persiste toujours entre eux, il ne dit rien.


Ses lèvres effleurent ses tempes délicatement, il caresse sa main. Ce n'est qu'eux, pas de Lyanna, pas de Pierre de la Serre ou de membre de l'Organisation. Rien que lui, sa fiancée et une montagne de fierté qu'il veut faire éclater. Ils n'ont plus besoin de porter leur armure, n'est-ce pas ? Leur bataille est finie, depuis bien longtemps. Le bulgare a gagné, Camille va l'épouser. Alors pourquoi, après tout ce qu'ils ont vécu, les barrières sont-elles toujours levées ?

Voir Camille Dubois effrayée est une scène dont il tire, à chaque fois, une étrange satisfaction. La voir faible, les tremblements, il s'en délecterait presque. Cette pensée ne l'effleure qu'un millième de seconde.

Elle est dans ses bras, Stefan la protège. Tout est dans l'ordre des choses. Un nouveau genre de bouclier est levé, celui de la famille qu'ils sont. Eux contre le reste du monde. Dans l'esprit du descendant de vélane, les pièces s'imbriquent, le puzzle commence à prendre forme. Camille qui revient couverte de sang, ne veut pas parler, Opale, les cauchemars. Il ne dit rien, sa main caresse doucement le dos de sa fiancée.

Au fond, le sorcier envie la relation que les deux femmes avaient. Lui n'a jamais eu de mère, les figures féminines de sa vie étaient aussi foireuses que lui. Il a tué pour un millième de ce qu'Opale et Camille ont eu. Pourtant, la ministre de la magie, en lui arrachant une promesse, lui a offert cette relation sur un plateau d'argent : Camille et Stefan, pour toujours. Il est simplement trop tôt pour qu'il s'en rende compte.


Voilà sa manière à lui de dire à Camille "passes à autre chose". Parce qu'il sait, lui, qu'Opale est morte. Elle ne reviendra pas. Ce n'est pas comme Nina qui elle était bien vivante, n'est-ce pas ? Les miracles n'existent pas. Assez ironique comme état d'esprit venant d'un homme ayant passé la moitié de sa vie à reprocher à son père d'avoir disparu à la recherche de sa mère et l'autre moitié à lui-même courir après ce fantôme. Il appuie son front contre le sien, ses belles boucles ébènes lui chatouillent le corps.


Le soleil pénètre désormais pleinement dans leur chambre, lèche leur peau. Le château est calme, vide des cris d'enfants qui l'ont un jour fait vrillé, vide des cris des combats et des morts.


Et soudain, aussi vite qu'elle est tombée, la barrière est de retour. Il y a des choses que Stefan n'est pas encore prêt à partager avec sa fiancée, sa rencontre avec Opale en fait partie, de même que l'histoire de la licorne. Il y a des choses qu'il n'est toujours pas capable de s'avouer à lui-même.

Le descendant de vélane sort du lit, son regard s'attarde sur ses cicatrices, sur son tatouage, avant d'attraper des vêtements. Il sourit à sa fiancée, sincèrement heureux de l'avoir rencontré.


L'huitre s'est refermée rapidement mais trop tard, le petit grain de sable y est déposé. Pourvu qu'une perle en ressorte.

C'est amusant, comme tout change. Pendant un instant, Stefan se tient dans leur chambre, un joli pantalon bleu et un pull blanc comme la neige parce qu'il fait toujours horriblement froid dans ce château. Tout est figé, la vie suit son cours, autant que faire se peu. Tout est stable, dans l'ordre des choses. Les démons ont été vaincu, il ne reste que des cadavres, Opale, Nina, même Ahlem. Ils sont ensemble, pour l'éternité. Oui, c'est amusant.

Ils marchent, déambulent, le descendant de vélane fait un signe de la main à Alexandre qui lui lance un regard l'air de dire "Je sais quelque chose que tu ne sais pas mais je ne peux rien dire parce que Camille est là". Stefan connait ce regard, il n'est pas sûr de l'aimer. Sa fiancée et lui arrivent finalement face à une porte qui s'ouvre sur un monde nouveau.

Et soudain, en cet instant précis, Stefan Dashkov est sûr d'avoir obtenu tout ce que l'on peut obtenir de la vie.

La lune est pleine, elle baisse dans le ciel et fait place au soleil. Un bruit strident résonne dans le château. Stefan n'est pas assit à son bureau. Il ne signe pas des tas de papiers de son écriture brouillonne, ne tente pas de comprendre des rapports sans queue ni tête. Non, pourtant, lorsque le hurlement retentit, il devine ce qui se trouve derrière cette porte. Elle l'ouvre. Sa femme est là, à ses côtés, à jamais. Les cris redoublent, Stefan se précipite, sa respiration se fait saccadée. Camille Dubois n'a pas donné naissance à un petit garçon, Opale Tal Moundine l'a fait. Et par cela, elles ont toutes deux réalisées ce rêve qu'il a fait la première fois qu'il a dormis dans ce même château.

Azar Riders le regarde et Stefan Dashkov lui sourit. Ce n'est pas un héritage, c'est bien plus, Opale leur offre un univers. Bien plus symbolique qu'un tatouage, bien plus précieux qu'une bague, ce bébé les observe et semble comprendre qu'il est désormais en sécurité.


Le bambin referme ses petits doigts autour de ceux de son père. Ce dernier attrape la main blanche de sa fiancée.


Leur vie d'avant est terminée. Il était temps.

SCATTERED 'CROSS MY FAMILY LINE, I'M SO GOOD AT TELLING LIES, THAT CAME FROM MY FATHER'S SIDE. - FAMILY LINE

A l'instant même où Stefan devient père, par deux fois, c'est un homme nouveau qui renait de ses cendres. Il n'est pas le sorcier puissant que le monde le voyait devenir. Il ne détient pas l'univers dans la paume de sa main. Le descendant a bien plus.

L'homme arrête de fumer. Pour ses enfants, il veut le meilleur. Il ne boit plus, ne se drogue plus. Ses visites à sa mère s'espace, le sorcier sait que cette partie de sa vie ne reviendra jamais. Nina est bien morte le jour où les Lighters l'ont capturé. Mais Camille, Azar et Margaret ? Ils sont bien vivants, eux.

C'est un bon père. Il n'y connait rien mais apprend vite. Changer les couches devient une habitude, donner le biberon un moment de calme où les bébés n'hurlent pas. C'est une vie tranquille, loin de la violence qu'il a si souvent côtoyé. Même Camille change. Elle devient plus douce, plus humaine qu'elle ne l'a jamais été. Il le voit dans son regard, lorsqu'elle serre Azar dans ces bras, où lorsqu'ils passent la nuit dans leur chambre, les enfants enfin endormis. Même Lyanna lui devient plus tolérable.

L'Organisation prospère, Stefan aide à lui donner une nouvelle impulsion. Il force certains membres à limiter les crimes, lance de nouvelles politiques de recherche. C'est un temps de paix et de reconstruction. La Guerre est finie.


I VOWED NOT TO CRY ANYMORE, IF WE SURVIVED THE GREAT WAR - THE GREAT WAR


L'Egide. Voilà le surnom que l'on murmure alors que le sorcier finit de lire un rapport. Miaouss ronronne à ses pieds, se lèche l'une de ses six pattes. Le descendant de vélane repose le papier, se saisit d'un autre. A côté de lui, un mégot se consume.

L'Egide, le bouclier d'Athena. La protection. Il n'a pas choisit ce surnom, on le lui a attribué.

A la mort de Lyanna, l'Organisation a perdu son chef. Camille, elle, a perdu sa fille, cette satanée enfant que Stefan n'a jamais aimé. Pourquoi avait-il fallut qu'elle meurt ? Tout était si parfait. Elles étaient parties, à la recherche de pouvoir, comme toujours. Une seule était rentrée.


Stefan relève la tête du papier qu'il est en train de lire, le repose et plante ses yeux dans celui de John Travers. Son frère, un horrible personnage, avait été torturé par Lyanna, lors de la cérémonie d'intronisation du Bulgare dans l'Organisation. John tentait de reprendre à tout prix la position qui fut celle de sa famille, avant qu'elle ne s'oppose à Stefan.


Le descendant de vélane se lève brusquement. Miskeen, qui l'attend sagement dans un coin, saute sur ses petites jambes et se met à le suivre. Alors qu'il est sur le point de passer la porte de la salle de réunion, il se retourne et fait face à l'Assemblée. En cet instant précis, l'homme ressemble tout particulièrement à sa future femme : menton relevé, pupilles gelées, sourire carnassier, sa beauté terrifie.


Et sur ces menaces à peine voilées, le sorcier tourne les talons, part retrouver ses enfants pour quelques moments volés, avant la prochaine réunion.

L'Egide protège Camille Dubois, ils le savent tous.


FEELS LIKE WE HAD MATCHING WOUNDS, BUT YOUR'S STILL BLACK AND BRUISED AND MINE IS PERFECTLY FINE. FEELS LIKE, WE BURIED ALIVE, SOMETHING THAT NEVER DIED. - THE EXIT


Le lit est froid à côté de Stefan. Il l'est chaque nuit, depuis son retour. Le bulgare s'est presque habitué à cette sensation de vide à ses côtés. N'est-ce pas là ce qu'il a toujours été ? Irrémédiablement seul. Parfois, Azar vient le rejoindre. Le sorcier serre alors le corps tout chaud de son fils, comme un enfant le ferait avec sa peluche. Azar, qui ressemble tant à Opale. Au départ, il a tenté de jouer sur cette ressemblance pour faire revenir sa fiancée. Il pensait que voir sa mentore dans cet enfant lui donnerait l'envie de se battre pour survivre à cette tragédie. Mais ça n'a pas marché et le petit s'est mis à pleurer en voyant sa mère. Margaret, elle, n'a pas été terrifié à la vue de ce qu'était devenue Camille Dubois. A un an, elle soutient déjà le regard gelé de la mage noire. Mais cette fillette ne comprend pas, elle cherche des réponses. Pourquoi cette femme ne l'aime-t-elle pas ? Pourquoi Stefan est-il le seul à lui accorder de l'attention, lorsqu'il n'est pas en réunion ? Cet enfant ne comprend pas et ça l'agace. Elle voudrait l'attention d'une mère qui n'arrive plus à l'être.

Miskeen et lui se déplacent rapidement dans le château, c'est une danse dont ils connaissent tout les mouvements. Alexandre les regarde passer mais ne dit rien. Même son tableau semble vivre une sorte de deuil. Lorsqu'ils arrivent enfin dans les cachots, Stefan fait un signe à l'elfe qui comprend et se met en retrait. La dernière fois, elle a marché sur une sorte d'acide.

Le descendant de vélane s'assoit à côté de sa fiancée, se met dans la même position qu'elle. Il ne la touche pas, la douleur de la dernière fois reste gravée dans sa mémoire. Il se ne parle pas, se contente d'être là. Ce n'est que lorsqu'elle prend la parole qu'il ose reconnaitre sa présence.


Les minutes s'égrènent une à une. Aucune vague de douleur ne l'assaille, il n'y a rien d'autre que le vide. Et c'est parce que cette fois-ci Camille ne semble pas capable de le battre qu'il reprend la parole.


Son regard se promène. Il se pose sur un chaudron mais ne demande pas ce dont il s'agit. Le sorcier sait. Elle cherche à faire revenir Lyanna. Un an auparavant, il n'aurait pas compris cette obsession. Mais maintenant qu'il a deux enfants, des petits êtres qu'il chérit tant... Il sait.


Le silence lui répond. Parce qu'elle n'a toujours rien dit, rien fait, le mage s'enhardit et tend doucement sa main en sa direction. Ses doigts se déposent sur sa peau blanche, essuie doucement le sang. Il donnerait tout pour remonter le temps.