La colère, cette vieille amie, refait surface, comme en réponse de celle de Camille. Le sorcier ne répond rien. Un vide se crée entre eux, comblé par une magie incontrôlable. Il a envie de crier, de lui hurler qu'elles sont mortes, qu'elles ne reviendront jamais. Il a envie de lui montrer que lui, Stefan Dashkov, est là. Qu'il est bien vivant. Triste vie que celle du sorcier souhaitant être aussi important que les morts. Sa bouche ne produit aucun son, il est incapable de mettre des mots sur ses pensées. Nina n'est pas morte, non, elle est revenue. Elle ne serait jamais partie si Auriga Fawley ne l'avait pas capturé. Des petits bouts de verre se mettent à léviter entre eux. La voix de sa fiancée ne s'arrête pas. Qu'elle se taise. Comme s'il n'avait pas tout sacrifié pour elle. Comme s'il n'avait pas embrassé un monde qu'il exècre en échange d'une promesse, celle de vivre à jamais à ses côtés. Camille peut sentir les vieilles blessures qui se rouvrent, la confiance qui fond comme neige au soleil. Il ferme les yeux, pense à Azar et à la promesse qu'il a fait à sa mère. Le descendant de vélane sent la douceur de la peau de son fils, son odeur si délicate. Et sa colère ne s'éteint pas, bien au contraire. Ils sont là, eux. Mais elle ne les voit pas. Ils ne seront jamais aussi important qu'elles. C'est un combat que Stefan Dashkov a déjà perdu, il le sait. Le sorcier la regarde partir, les petits bouts de verre viennent se planter dans la terre battue. Il en a assez de se battre.



Stefan trône en bout de table. Son visage est déterminé, ses yeux bleus plus sombres que jamais. Quelque chose se prépare. Sa voix est posée, claire, l'homme affiche clairement une posture de leader que l'on ne lui connaissait pas. Le second effacé a disparu, il laisse place à un homme affirmé, qui sait que sa place est ici. Sa beauté ravageuse magnétise, domine. Il scrute l'assemblée, un petit sourire se dessine sur ses lèvres. Il pourrait tous les tuer, l'idée est tentante.


Personne ne bouge. Le silence est lourd. Soudain, deux sorciers vêtus de cape noire sortent du coin où ils attendaient patiemment. L'assemblée émet un bruit inquiet, la réunion vient de devenir plus intéressante.


Et aussi simplement que cela, disparait l'un des plus fidèle Sang-Pur de l'Organisation. Stefan sourit.


L'assemblée échange des regards indécis. Dans un coin, recouverte de son draps noir, le tableau de Cassiopée Dubois écoute attentivement. Enfin, une petite voix se fait entendre, répétant la devise de l'Organisation, suivie par d'autres. Stefan se lève, quitte la salle dans un chaos monstre. Il ne sourit plus. Camille Dubois lui a brisé le coeur, il va lui prendre l'oeuvre de sa vie. Alors peut-être, lui reviendra-t-elle ?

Opale Riders lui a un jour dit "Et surtout, ne faites pas l'erreur de changer pour elle. Ne désirez pas devenir plus puissant pour qu'elle vous respecte. C'est une erreur, une terrible erreur." Stefan ne l'a pas écouté.

Le silence répondit à Camille Dubois.

Cachée sous sa forme de pie, Mia Lorder Jannings réfléchissait. Son coeur hésitait entre poignarder la mage noire ou simplement attendre qu'elle s'en aille. Les deux options étaient tentantes, il fallait le reconnaitre. Elle pouvait également s'assoir, boire un verre avec elle, se faire des tresses et se mettre du vernis. Cette possibilité appartenait cependant à un autre univers dans lequel l'ancienne auror n'avait pas envie d'assassiner l'intrue. Dans lequel Camille Dubois n'était pas sa pire ennemie.

L'anglaise maitrisait très mal sa forme animagus. Sa formation s'était mal passée et une sorte de traumatisme s'était formée. Elle ne l'utilisait qu'en cas d'extrême urgence, lorsque l'instinct de survie reprenait le dessus.

Perchée sur son étagère, la pie-cale-livres esquissa un sourire, ce qui était déjà très étrange pour une pie, d'autant plus qu'elle était empaillée. L'objet souriait pourtant, arborait un air insupportable voulant dire "je-vous-l'avais-bien-dis". L'oiseau semblait apprécier plus que nécessaire l'état minable dans lequel se mettait Camille Dubois. Ne dit-on pas "heureux comme une pie" ?


La pie empaillée venait de faire du bruit et ce n'était pas l'effet de l'alcool. En un clignement des yeux, Mia Lorder Jannings se trouvait au pied de ses étagères. Elle se releva, dominant de toute sa taille celle qu'elle s'était jurée de tuer. Dans son regard, on ne pouvait lire que de la pitié.


L'ancienne auror se rendit dans sa cuisine, attrapa son éternel service à thé et fit chauffer de l'eau. Lorsque la boisson fut prête, elle revint dans son salon et s'installa dans un fauteuil faisant face à Camille. Sa némésis avait changé. Son visage s'était émacié, ses yeux obscurcis. Et Mia, avec son sens aiguisé de divinatrice, sentait que son âme était encore plus noire que la dernière fois qu'elle l'avait vu.

Perdre un enfant était quelque chose que l'on ne souhaitait à personne. Seulement, Mia s'était enfermée depuis si longtemps dans sa haine des Dubois qu'elle ne pouvait s'empêcher de tirer un peu de satisfaction de la douleur de Camille. James était mort presque quatre ans auparavant. Cela n'enlevait en rien la douleur de sa perte.


Ce raisonnement était diablement tordu. C'était celui d'une femme qui avait laissé la chambre de son enfant dans l'état où elle était lorsqu'il était mort, qui avait érigé une barrière magique pour empêcher quiconque de salir cet endroit. Mia avait survécu, cela ne voulait pas dire qu'elle n'était pas devenue complètement tarée.

Elle pensa à sa jeune amie, la petite Fawley. Ainsi donc, elle avait tué Lyanna. C'était presque étonnant, l'anglaise était avide d'entendre cette histoire. La vélane avait tenté de protéger l'adolescente, que s'était il passé pour qu'il y ai un tel retournement de situation ? Mia n'était pas étonnée, simplement triste. Elle n'avait pas su empêcher Faith de tomber tête la première dans ce monde ignoble qui était le leur. Mais tout ceci était le destin, n'est-ce pas ? Tout avait été écrit à l'avance, dans les étoiles. Il avait fallu que cela se termine ainsi.


La théière servit le thé, une tasse pour Mia, une tasse pour Camille. L'ancienne professeure de divination attrapa la sienne et la sirota tranquillement.


La phrase était sortie de sa bouche en français, comme toujours avec Camille Dubois. On sentait l'ironie suinter de chacun de ces mots. Mia les avait presque craché avec dégout. C'était une réponse à la question indirecte de la mage noire, "pourquoi n'avez-vous pas honoré votre part du contrat ?". Parce qu'elle-même ne l'avait pas fait. La prophétie de Faith était devenue réalité.

Leur conversation n'avait pas vraiment de sens. Elles enchainaient les phrases, les unes après les autres, sans réellement se répondre. Les deux femmes étaient perdues dans un espace-temps qui leur était propre. Encore une fois, la similarité de leur histoire était frappante.


La sorcière reposa sa tasse, se leva et s'approcha d'une petite table où différentes photos et tableaux étaient exposés. Elle fit un petit signe et la peinture d'un garçonnet disparut. Mia reprit sa place face à Camille.

Son regard se fit mélancolique, comme si elle réalisait que les malheurs vécus n'avaient été que de son fait. Elle avait tué Ashka. Elle ne s'était pas occupée d'Alysone suffisamment tôt pour qu'elle ne tombe pas dans la magie noire. Sa magie luttait contre celle de Camille, luttait pour que tout n'explose pas. Mais finalement, elle abandonna, sans doute de désespoir. Encore une fois, elle avait échoué. Les fioles explosèrent, le verre des tableaux également. Assise dans son fauteuil, la sorcière porta sa main à son front pour se couvrir les yeux. Son coeur souffrait, hurlait. Sans doute pleurerait elle, après. Pas devant Camille Dubois.


La vie était une suite de questions sans réponses. Mia aussi, tout comme Camille, aurait aimé savoir pourquoi Faith ne lui avait pas dit pour la drogue alors qu'elle aurait pu l'aider. Elle aurait pu utiliser sur elle ce qu'elle avait trouvé dans les laboratoires du CAMP, la ramener dans la vie, la vraie.


Mia secoua la tête. Elle était lassée de cette vie.


La phrase était moins affirmative qu'elle l'aurait voulu. Mia se battait avec moins d'ardeur, moins de force qu'auparavant.


Elle ne voulait pas l'aider. Elle se refusait à y songer. Cette sorcière devait mourir, disparaître, elle et tout le malheur qu'elle portait. Mia avait été patiente parce qu'elle comprenait sa peine mais sa haine de Camille Dubois revenait. Quelle aille cuver ailleurs, loin d'elle.

Malgré la peur qui l'envahissait, Mia Lorder Jannings n'essaya pas de repousser sa vieille ennemie. Les deux sorcières s'étaient déjà retrouvées dans cette position, il y a longtemps, avant la mort de Lyanna. Au fond, l'ancienne auror savait qu'elle n'était pas la cible de Camille. Elle ferma les yeux, s'isola dans son propre monde. Elle ne voulait plus l'entendre parler parce que les mots qui sortaient de sa bouche ne signifiaient qu'une chose : qu'encore une fois, une enfant allait mourir par sa faute.

Elle ne comprit pas tout de suite pourquoi Camille Dubois lui racontait tout cela, son plan machiavélique pour obtenir vengeance. Elle savait bien que la première chose que la sorcière ferait serait de partir protéger Faith. Ce n'est qu'une fois que sa baguette se retrouva pointer sur sa tempe que le tableau lui apparut. Leurs esprits allaient, une fois de plus, s'entremêler. Mia balbutia une dernière phrase.


Le cerveau de Mia Lorder Jannings était rangé, catégorisé. Son esprit était d'abord noir puis l'on apercevait un premier fil. Ce dernier se fractionnait ensuite en d'autres fils. Des souvenirs. C'était un labyrinthe et Camille Dubois devait trouver la bonne voie pour arriver à ce qu'elle cherchait. Au risque de se perdre en route. Certains souvenirs étaient plus vifs que d'autres, plus récents. On pouvait y voir Summer Pearson assise sur le perron de l'immeuble. Un homme que Mia embrassait. Tout un tas de souvenirs mais pas celui des cinq dernières minutes passées, comme si l'anglaise le protégeait. Il fallait chercher, encore et encore, jusqu'à finir par trouver.


La voix était inconnue à Camille et pourtant, l'esprit de Mia la mettait si bien en valeur qu'il était facile de deviner qu'il s'agissait de James Lorder Jannings, son fils adoptif. Même mort, il restait le gardien de l'esprit de sa mère. Derrière lui, derrière cet ami imaginaire, se dressait sans doute ce que cherchait Camille. Grâce à un occlumens doué, l'ancienne auror avait fait dresser un obstacle entre ses secrets et les autres.

Les règles de l'esprit étaient étranges. Quelqu'un était entré dans la tête de Mia et avait façonné des barrières si puissantes qu'elle ramenait des morts. Soudain, Camille pouvait voir James aussi clairement qu'un vivant. L'adolescent semblait n'avoir jamais été malade. Voilà comment la sorcière voyait son fils, dans son esprit : une version parfaite, une version en vie. Serait-ce la clef du deuil ? S'acrocher aux souvenirs heureux, à ce qui avait été et pas à ce qui aurait pu être ?


D'autres souvenirs affluaient pour venir appuyer les propos de James. On pouvait distinctement voir Mia tenir la main du petit garçon alors qu'il était en train de mourir. La même scène apparaissait avec Ashka. Camille ne pouvait que faire le lien entre elle et Lyanna.


Et alors qu'il prononçait ses mots, des souvenirs de meurtre remontèrent à la surface. C'était subtile - pas tellement - mais l'idée était là : l'esprit de Mia faisait comprendre à Camille qu'elle n'aurait pas son souvenir, à moins de la tuer. L'ancienne auror avait cessé de fuir, elle était prête à se battre. Elle perdrait, inévitablement.

Assit à son bureau, Stefan ne lit pas un rapport. Ses mains gantées manipulent délicatement un vieux livre dont les pages ont jaunis. Ses yeux bleus tempête survolent des runes à la recherche d'un indice, d'une solution. Enfin, un sourire nait ses lèvres. Avec sa baguette magique, il surligne les lettres qui l'intéressent. Elles se mettent à voler devant lui, racontant une histoire. Le descendant de vélane referme le livre et quitte en courant la pièce. C'est la pleine lune, il n'y a qu'un seul endroit où trouver Camille Dubois.

Il s'approche doucement, pour ne pas l'effrayer. Elle les sent pourtant, lui et son aura vélanique. Le sorcier prend une grande inspiration, comme s'il allait se jeter à l'eau, avant de murmurer ce qu'il est venu lui dire.


A-t-elle conscience de ce qu'elle a déjà perdue ? Voilà deux mois qu'il s'est emparé de l'Organisation, qu'il la dirige comme si elle lui appartient. Deux mois qu'il attend que sa femme revienne. Elle manque de moins en moins à ses enfants. C'est comme si Camille Dubois ne faisait plus partie de leur vie.


Il n'a jamais aimé Lyanna. Mieux, il exécrait cette gamine pourrie gâtée. C'est pire depuis sa mort. En disparaissant, elle a emporté la personne qui compte le plus pour lui. Et Stefan aimerait qu'elle revienne.


Ses vêtements sont en cuir, parfaits pour un voyage remplis d'aventure. Un sac est posé à ses pieds. Stefan Dashkov s'en va. Mais pour aller où ?


Sa main se referme sur son épaule. Il ferme les yeux et s'enivre de son odeur, lilas et groseille, exactement comme il l'a fait pour ses enfants. C'est un au revoir. Le bulgare murmure à son oreille :


Alors sa main se relâche, il attrape son sac et tourne les talons. Evidemment que le Dashkov ne part pas en mission suicide pour Lyanna. Si ça ne tenait qu'à lui, il l'aurait tué de ses propres mains. Il part parce que sans Camille, il n'a plus rien. Et pour un sorcier qui a tout tenu entre ses mains, c'est impossible. Il a tout essayé, la distraction, le chantage affectif, par tout les caleçons de Merlin, il lui a même volé son Organisation. Stefan Dashkov, garçon aussi naïf que beau, s'en va, le sourire aux lèvres, défier la Mort. Pour elle.

Il ne croit pas qu'on puisse faire revenir les morts d'outre-tombe. Il n'y a pas cru quand sa mère est "morte", quand Opale est morte et ce n'est certainement pas pour Lyanna qu'il va y croire. Mais le descendant de vélane a un plan pour sauver Camille. Le problème est qu'il en a souvent et qu'ils sont généralement foireux.

Voilà où les mensonges le mènent. Le coeur de Stefan se sert, n'est-il donc pas suffisant ? Le sera-t-il un jour ? Probablement pas. Lyanna est morte, il s'apprête à disparaitre, à briser leurs fiançailles et ce n'est que l'idée qu'il puisse la ramener qui anime l'intérêt de Camille. C'est pitoyable. Il secoue la tête mais n'ajoute rien. Stefan Dashkov sait que sa fiancée était à deux doigts de le laisser partir, probablement avec les enfants. Tout ça pour qui ? Une morte sans importance. Elle n'a même pas relevé ce qu'il a mentionné avec Opale. Pourquoi s'accroche-t-il ? Pourquoi n'est-il pas réellement partit ? Le jeune homme aurait pu. Il a bien laissé Ahlem, son âme soeur, sa soeur. Mais c'était différent. Il l'aimait mais ils n'étaient pas réellement une famille. Camille est-elle sa famille ?

Il ne dit rien. C'est mieux ainsi.

LE LENDEMAIN

Ils sont tout les deux. Depuis combien de temps marchent-ils ? Bonne question. Stefan n'a pas desserré la bouche depuis leur conversation devant la tombe de Lyanna. Ses manches remontées laissent entrapercevoir son tatouage de l'Organisation. L'encre pulse rapidement, comme une veine. Sa main s'est refermée sur celle de Camille et il ne l'a pas lâché. Il ne compte pas la lâcher. Les deux sorciers ne se parlent pas et le descendant de vélane met un point d'honneur à ne pas regarder sa femme. On pourrait croire qu'ils sont des étrangers l'un pour l'autre, exactement comme lorsqu'ils se sont rencontrés la première fois dans l'atelier du Père Noël. A l'époque, Camille devait le tuer. Plus d'un an plus tard, où en sont-ils ? Pas réellement plus avancés.

Il ne veut pas lui parler. Alors ils marchent, encore et encore. L'endroit où ils se situent est difficilement identifiable. Il y a une foret à perte de vue, sans fin. Ils marchent, encore et encore, en direction du nord. Main dans la main. Stefan ne veut pas lui parler parce qu'il ne veut pas redevenir le petit enfant qui supplie sa mère de ne pas partir en mission, il ne veut pas se mettre à genoux une énième fois devant Camille et la supplier de l'aimer. Il en a assez de demander. Quand lui donnera-t-elle son amour, sans conditions ? Son coeur arretera-t-il, un jour, de souffrir autant, à chaque fois qu'elle le rejette ? Sa bouche reste résolument fermée mais pas son esprit. Certaines parties de son cerveau sont floues, grises, elle ne peut, bizarrement, pas y avoir accès. Mais le reste, ce qu'il veut vraiment qu'elle voit, tout est là. La douleur de ne pas être choisit, de passer après. La solitude qui l'habite, si puissante, si triste. L'amour sans fin qu'il porte à leur famille, qu'il lui porte. Il brûle lèche l'âme de Camille comme un rayon de soleil. Si elle ne s'y attarde pas trop, cette émotion pourrait être satisfaisante. Si elle s'enivre d'elle, elle risque de s'y perdre. Tout ce qu'elle lui fait ressentir, le bon comme le mauvais, surtout le mauvais. Trop de mauvais. Son plan est là, flou - ce qui montre bien que c'est une mauvaise idée - mais déterminé. Il tourne autour d'une image, d'une personne, constamment. Stefan cherche l'héroïne d'un vieux conte, le bulgare semble croire qu'elle pourrait ramener Lyanna, cette gamine qu'il n'a jamais aimé. Stefan cherche la Mort.

Et une rivière trop profonde et trop dangereuse pour la traverser.

- trois frères arrivèrent au bord d'une rivière trop profonde et dangereuse à traverser. Heureusement, puisqu'ils étaient doués du pouvoir de la magie, ils firent apparaître un pont. Au milieu du pont, ils rencontrèrent une figure voilée, LA MORT ELLE-MÊME. -



Il écarte délicatement une mèche de ses cheveux ébènes qu'il coince derrière son oreille. C'est un geste tendre, amoureux. Le geste d'un homme qui ne l'a pas (encore) abandonné. Sa voix est douce, Stefan s'adresse à un petit chiot blessé, pas à sa femme.


Son corps musclé trésaille en entendant ses paroles. Une famille parfaite, voilà bien ce dont il a toujours rêvé. Le descendant de vélane se rapproche de sa future femme, il se perd dans son odeur de groseille et lilas. Oui, si son plan marche, leur famille sera parfaite. Il ne peut juste pas réellement lui dire que cela se fera sans Lyanna.

La marche reprend, encore et encore. Soudain, le paysage change. La forêt laisse place à une grande plaine dont rien ne vient troubler la platitude. Encore quelques pas et ils se retrouvent face à une rivière. Le courant est puissant, les rochers énormes : impossible de la traverser sans se rompre le cou et mourir. Une rivière trop profonde et trop dangereuse à traverser. Stefan ferme les yeux. Adlina va-t-elle les sauver ?

AVANT

Un petit garçon est allongé dans un lit d'enfant. Un mobile de planètes tourne doucement au dessus de sa tête. Il est tard, il devrait dormir. Des bruits étouffés se font entendre puis des pas qui se rapprochent. La porte s'ouvre, ce n'est pas un monstre mais une princesse qui passe sa tête dans la chambre. Le garçon sourit, Nina est rentrée de mission. Elle s'approche du lit, attrape un livre qui attend sagement sur la table de nuit. "THE TALE OF THE THREE BROTHERS - A NOVEL BY BEEDLE THE BARD". La princesse sourit à son fils, elle est si belle. De sa voix d'enchanteresse, elle reprend la lecture, exactement là où ils s'étaient arrêtés. Du haut de ses quatre ans, Stefan ne comprend pas réellement ce que signifie l'histoire que sa mère lui raconte. Ce n'est qu'un conte. Il n'y a que Nina qui importe. Ce n'est qu'un conte, une histoire que l'on raconte aux enfants. Pourtant, à la fin, c'est la Mort qui gagne.

MAINTENANT

Les yeux toujours fermés, il lâche la main de Camille, attrape sa baguette magique. Le bulgare la lève, prend une grande respiration. Lorsqu'il relâche l'air de ses poumons, un léger filament apparait et fuse vers la rivière trop profonde et trop dangereuse à traverser. Petit à petit, des pierres s'amassent. Des gouttes de sueur apparaissent sur le front de Stefan (heureusement, c'est un descendant de vélane alors l'effet est sexy). Son visage se plisse sous l'effet de la concentration. Mais les Dashkov sont de grands magiciens venus du nord. Ils ont survécu au froid, aux communistes, aux vélanes, aux tarés chasseurs de vélane, à Auriga Fawley. Que peut faire la Mort contre eux ?

Alors que son énergie vitale baisse et le rapproche de plus en plus du malaise, Stefan Dashkov, le sorcier venu de Bulgarie, pousse une ultime fois sur l'élastique imaginaire de sa magie. Un dernier effort et soudain, un pont de pierre enjambe fièrement la rivière trop profonde et trop dangereuse à traverser. Il rouvre les yeux, range sa baguette, attrape la main de Camille. Il l'entraine sur le pont, celui qu'il a construit pour elle, pour ramener Lyanna. Et soudain... Ce que Stefan était venu chercher se dresse devant eux.

Au milieu du pont, ils rencontrèrent une figure voilée, LA MORT ELLE-MÊME.

Si la mort n’est pas la meilleure copine de Stefan, Elle n’est pas non plus une ennemie. Pendant que sa femme l'invective, le descendant de vélane regarde cette forme noire, voluptueuse. Son regard brille d’excitation, d’interrogation. Des années auparavant, il a été réparti dans la maison Serdaigle, celle de l’érudition. Savoir, toujours plus. Il aime dompter l’impossible, l’impensable. A cet instant précis, il aimerait demander tant de chose à cette femme. L’homme garde le silence. Il la respecte, l’admire. C’est la Mort, Celle qui viendra le chercher le moment venu. La mère de la Fin, le commencement du reste. Cette rencontre est tout bonnement fascinante.

Le Rêveur et la Mort, enfin réunit. Il lui sourit, Elle lui répond par un signe de tête. Une grande complicité émane d’eux, comme si Elle savait parfaitement pourquoi il lui a amené Camille. Qui sait si Elle n’est pas légilimens, Elle aussi. A bien des égards, ils se ressemblent. Lui avec son aura vélanique, sa beauté fatale, Elle avec ses volutes noires. Il est son pion, son enfant. Si la vie l’a créé, c’est la Mort qui lui a donné un sens.

Loin de toute considération philosophique, cette rencontre est tout bonnement magnifique. Ainsi, la Mort a daigné se pencher sur eux. Stefan a réussi là où tous les meurtres récents de Camille ont échoué. Il pourrait être un grand sorcier s’il n’était pas le petit chien de sa fiancée.


Il hoche la tête et regarde Camille. Où va donc cette discussion posée ?


L’ordre des choses. En femme méticuleuse, la Mort ne prend que ce qui lui est réellement nécessaire. Tout est agencé, exactement comme il devrait l’être. Lyanna est morte, elle ne reviendra pas.


Stefan se tourne vers sa femme. Ils peuvent attaquer la Mort mais ils ne la battront pas. Comme tout, la vie est faite de choix, la fin l'est également. Jusqu’où iront-ils ?


Sa voix est légère, celle d’un enfant qui joue avec le feu sans savoir qu’il va se brûler. Stefan Dashkov, le Rêveur, a rencontré Camille Dubois, la Maudite. D’eux est né l’Espoir.


Il ne mourra pas pour cette garce de Lyanna. En revanche, suivre les instructions de la Mort, oui, c’est tentant. C’est une valse. A eux de donner le tempo. Sa main se referme sur sa baguette magique. Si Camille ne cesse de La défier, Stefan Dashkov est né pour surprendre la Mort. Il l'amuse. Le piège se referme mais qu'importe s'il ne peut mourir ? Son destin est là, à portée de main. Tout ceci est plus plus grand que Lyanna et sa mère. Tout ceci tourne autour de la Mort et de son défi. Il va le relever. C'est pour quoi il a été fait, n'est-ce pas ?


Quand la Mort hurle, c’est le cri de millions de corbeaux qui retentit. Stefan hurle plus fort, pour couvrir son bruit. Le pont tremble.