- Lemony ? J'aime bien ton prénom il est trop joli !
Le sorcier manque de trébucher.
Il y a tellement de fraîcheur chez Moïra, et une spontanéité qu'il n'a jamais possédée. Elle ne réfléchit pas minutieusement à ses mots avant de parler, elle ne redoute pas de froisser son interlocuteur et de déclencher un cataclysme politique.
Ce qui en fait probablement une Sang-Mêlée, ou une Né-Moldue.
Lemony tique, parce que les Nés-Moldus ignorent l'existence de la magie avant leur entrée à Poudlard ; ce qui signifierait que Moïra est magique, morte alors qu'elle avait déclenché ses pouvoirs et–

Sa gorge se noue. Il ne peut pas y penser. Moïra a huit, neuf ans. C'est trop jeune, bien trop jeune. Elle devrait être en train de courir à côté de lui, pas de faire des cabrioles aériennes trop légères dans un corps immatériel.

Malgré ses pensées qui défilent à toute vitesse, le jeune Serdaigle ne perd pas de vue la conversation.
— Merci, marmonne-t-il sans véritable conviction.
Ce n'est pas juste pour Moïra, il le sait. Il n'a pas envie de faire disparaître son enthousiasme.
Son regard clair s'éternise sur la petite fille tandis qu'il prend la décision de lui dire ce qui a toujours été entendu dans sa famille, mais jamais exprimé.

— Les Parlambre portent des noms de pierres, tous sans exception en dehors des époux et épouses rapportés par le mariage.
Il secoue la tête. C'est trop compliqué pour une enfant, d'autant plus qu'elle n'est pas d'éducation aristocratique.
— Ma mère est Jade, son jumeau est Onyx. Leurs pierres sont leurs symboles, ils les portent fièrement en bijoux, ils les dessinent et signent avec. Ma soeur aînée Emerald n'a pas dérogé à la tradition. Mes cousins, Aurum et Quartz sont plus jeunes que moi, et ont leur propre matériau. Je suis l'unique Parlambre, en cinq siècles, qui n'ait pas de pierre.

Ses yeux s'embuent. Il est malheureux, de cette mise à l'écart. Il l'a toujours été. Il sait que la tradition Parlambre n'est jamais ignorée, que Jade aurait préféré répudier son époux, enceinte, plutôt que de le laisser choisir son prénom.
Et elle a choisi de briser la tradition. De le mettre à l'écart.

— Je ne comprends pas, chuchote-t-il. J'ai longtemps cru que je n'avais aucun intérêt aux yeux de ma famille, que je n'étais pas désiré, qu'Emerald était la consécration de leur succès. Mais au final, c'est moi qui suit l'Héritier de notre famille, pas ma soeur. Ils m'ont élevé exactement comme les autres Parlambre. Je ne comprends pas.
Lemony a théorisé, bien sûr. Des soirées trop longues dans la Garçonnière, des nuits sans sommeil dans sa chambre, des punitions douloureuses ou mains sur la tête et genoux au sol, il cherchait en vain une réponse.

Il a envisagé que son père ne soit pas son géniteur. Mais puisque l'héritage provient de Jade, cela n'a aucune importance.
Il a envisagé être en réalité le fils bâtard d'Onyx, et cette idée dérangeante n'est pas tout à fait rayée de son esprit. Le comportement de Jade, mesquin, est tout à fait l'idée qu'il se fait de sa réaction à la demande "S'il te plaît assume ce bébé que j'ai eu avec une autre".
Une idée plus violente est celle qu'il est le bâtard de son père, et non de Jade. Ou d'Aliénor, l'épouse d'Onyx. Voire les deux. Sans liens avec les Parlambre, donc.

— Je saurai si j'appartiens véritablement aux Parlambre lorsque mon Don se déclarera– ou que je resterai Muet.

Cette phrase amère n'est pas vraiment destinée à Moïra, mais elle l'aura tout de même entendue.
C'est la caractéristique de leur famille, après tout. Le Don de Parole.

Les cabrioles de Moïra destabilisent Lemony, qui a du mal à se concentrer sur sa propre démarche.
Elle parlait, toute joyeuse de leur rencontre, et le Serdaigle sentait sa mélancolie le quitter.
Que quelqu'un soit heureux de passer du temps avec lui était précieux.
Il sourit sincèrement à la petite tandis qu'elle expliquait d'où elle venait.

— Balloch ? Je n'y ai jamais été mais... C'est en Ecosse, n'est-ce pas ? Là où se trouvent tous les Lochs.

Est-ce que Lemony a eu quelques cours d'Ecossais par un Précepteur paranoïaque persuadé que ceux-ci finiraient par faire sécession, y compris magiquement et qu'il lui faudrait alors se débrouiller ?
Oui. Il avait huit ans, et le Précepteur n'a pas terminé l'année scolaire, mais il se souvient de quelques notions intéressantes.

— Ca ne doit pas être si loin, sourit-il. Nous sommes en Ecosse, tu sais. On oublie souvent que c'est là que se trouve Poudlard... A sept heures de train de Londres et hors de l'Angleterre. Et il est vrai que nul ne respecte les traditions Ecossai–

Il a un peu coupé la parole à Moïra, et sa panique nouvelle le glace. Sous la bruine de Novembre, Lemony sent son coeur s'accélérer sous une panique trop familière.
— Yana ?/color][ balbutie-t-il. [color=#4a2bad]J'ignore qui–

Moïra n'a pas l'air bien.
Lemony découvre qu'un fantôme peut souffrir.
En quelques seconde, son corps se rigidifie tandis que les battements de son coeur ralentissent pour le laisser respirer. Son esprit s'éclaircit.

Il y a quelque chose d'important à savoir sur Lemony : Emerald s'étant distancée de sa famille, il a été élevé comme l'aîné, avec les responsabilités qui vont avec vis à vis de Quartz et Aurum.
Des situations avec un enfant en danger, il en a géré. La situation est familière, et il est calme. Il analyse froidement les données et parvient entièrement à suivre les données qui fourmillent derrière ses yeux.

— Dans quelle maison, quelle année, se trouve Yana ?
Fray... Nathan ? Non, un professeur.
Catherine Spinnet, professeure aussi.
— Moïra, attends, ordonne-t-il d'une voix ferme et calme. Je sais qu'il y a urgence. Mais il faut prendre deux minutes, pas plus je te le promets, pour parer au plus efficace. Oui, je peux te conduire au bureau de Catherine Spinnet.

C'est la seule professeure qui se soit souciée de lui, du fait qu'il se sente seule. Et en tant qu'enseignante de Défense Contre les Forces du Mal, elle paraît toute indiquée pour aider un fantôme. Pourtant, un détail lui revient.

— Si tu as besoin du contact de ta cousine pour rester... ancrée... Alors c'est elle que nous allons chercher. Pas un professeur. Je t'y emmènerai, après, Moïra. Une fois que tu ne seras plus en train de faire un malaise.

Lemony sent un chaleur étrange envahir sa gorge ; sa voix n'est pas aussi vectrice d'efficacité qu'il le désirerait. A la place, elle déborde de compassion et d'assurance.
Celle d'un frère aîné.

* Moïra ne comprenait pas tout aux histoires de pierres de Lemony et de sa famille, mais cela semblait vraiment très compliqué et triste. Elle espérait qu'il trouverait sa pierre. Elle pourrait même l'aider à chercher des jolis cailloux dans le parc quand elle irait mieux ! En plus, être muet ça devait être bien horrible, elle préférait que son nouvel ami lui parle, pas qu'il n'arrive plus à parler parce qu'il n'aura pas trouver une pierre. *

- Je t'aiderai à trouver ta pierre Lemony.

* Mais, avant d'aider Lemony, elle devait vite retrouver sa cousine, vite reformer le lien magique entre les deux fillettes. *

- Luyana... Deuxième année, articula-t-elle difficilement.

* Elle espérait vraiment qu'il s'agissait de la préfète de la maison de Lemony et qu'il la connaissait, leur espérance à toutes les deux dépendait de l'aide de son ami.
Elle sentait que Yana avait mal aussi et qu'elle la cherchait, mais elle n'arrivait pas à savoir où elle se trouvait. Il fallait qu'elles se voient, rapidement.

La petite fantôme arrêta ses cabrioles dans les airs, plus pâle de minutes en minutes, regardant Lemony avec espoir et angoisse, se raccrochant à sa voix rassurante.

Était-ce la peur qui la faisait délirer ou bien une jeune fille était-elle en train de se balader dans le parc avec un cochon lisant un livre ? *

"Je t'aiderai à trouver ta pierre, Lemony".
Le jeune aiglon lève les yeux vers le fantôme, un peu interloqué. Elle réagit comme une adorable petite fille. Une enfant profondément gentille qui a de la peine lorsque les autres pleurent. En revanche, il est possible qu'elle n'ait eu aucune compréhension de son propre discours.
Il l'a peut-être imaginée plus âgée et tente de la réévaluer. Six, sept ans ?
Il se demande en quoi ce serait plus insupportable, que Moïra n'ait que six ans.
Comme si trois ans de plus étaient moins tragiques.
Comme si la mort aurait été moins douloureuse pour elle et ses proches.
Ses yeux le piquent ; il les détourne. Inutile d'avoir honte de ses émotions devant une enfant ; pour autant, elle n'a pas à le réconforter. Il est plus âgé, il est responsable d'elle.

Soudain la voix de Moïra faiblit et il fait brutalement volte face, les yeux écarquillés, la bouche entrouverte. Ses mains forment quasiment un angle droit avec ses poignées mais il s'en fout totalement.
Parce que Moïra souffre et bon sang, comment un fantôme peut-il souffrir ? Elle est morte, ce n'est pas assez ?

Sa teinte vaporeuse devient moins opaque.
— Morgane, non ! s'écrie-t-il.
Il tente de la retenir, n'importe comment ; ses doigts passent à travers le poignet.
— Moïra ! Moïra ! Je ne– je ne sais pas où estr Luyana, le château est bien trop grand. Et la salle commune de Serdaigle...
La plus haute tour du château après celle d'Astronomie.
Inaccessible sans avoir répondu à l'énigme de l'aigle.
Lemony n'a jamais été fichu de répondre à cette énigme.
— Moïra. Accroche-toi à tes souvenirs terrestre. A Luyana. Je t'en prie.
Les larmes roulent sur ses joues.
Malgré le vent et la bruine, il lui semble entendre le nom du fantôme à ses oreilles.
De plus en plus fort.
Son coeur bat de plus en plus vite.
Il est impuissant. Il est tellement impuissant, avec ses onze ans et sa baguette qui ne lui sert à rien puisque les seuls sorts qu'il maîtrise sont les bases de l'astronomie.

Et quand surgit une silhouette un peu trop familière, il lui faut toute sa force pour ne pas s'effondrer sur le sol ni enrouler ses bras autour de lui.
Luyana l'a déjà vu en proie à ce genre de crises une fois. Il ne tolèrera pas que cela se reproduise.
L'enfant ne veut pas assister à la disparition de Moïra sous les yeux de sa cousine. La perdre a déjà dû être si violent.

Il ne veut pas mais il se force à regarder, à être le plus proche possible de Moïra. Si elle part, ce ne sera pas seule.
Il ne veut pas qu'elle ait peur.

Sauf que sous ses yeux, justement, la petite fille reprend consistance. Un semblant d'opacité retrouve ses joues, comme des rougeurs chez les vivants.
Lemony fait tout ce qu'il peut pour s'arrêter de trembler et de pleurer.
Ca inclut poser un masque neutre et froid sur son visage. Réflexe tellement familier, tellement aisé. Plus que d'enfiler sa robe d'uniforme chaque matin.
Ca inclut de se détourner, de contourner les deux filles et de se placer face au lac.

L'eau est agitée sous la pluie fine. Le lac, trop sombre pour refléter le moindre nuage.
Lemony respire de façon régulière.
De nouveau dans le parc dans un état déplorable.
Et Luyana est de nouveau présente.
Ils ne se sont pas parlés depuis la débâcle de la rentrée.

Moïra babille derrière lui, comme si rien ne s'était passé. Avec beaucoup d'affection pour Lemony, dans sa voix. Et visiblement, une envie de l'aider immédiatement à trouver un caillou.

Les mains gelées et collées contre ses cuisses tremblent toujours autant.
Mais s'il se fiche bien de paraître distant pour ses pairs, le jeune Parlambre n'a jamais pu se résoudre à heurter un enfant.
Alors il se retourne.
Moïra s'agite dans les airs comme s'il ne s'était rien passé.
Ses yeux pétillent de vie. Oh, Morgane.
— Peut-on m'expliquer ce qui vient de se passer ? lâche le Serdaigle d'un air impérieux.
Exigence, arrogance, froideur.
Il n'est pas un imbécile. Il sait que cela peinera Moïra à coup sûr.
Les mots sont justes sortis tout seuls. On ne se défait pas de douze ans d'éducation en quelques semaines. Lemony a toujours eu ce qui lui était dû de par son rang après tout.

Même quand il ne trouvait pas cela juste.
Il regarde Moïra, le masque fondant sous la douceur qu'il éprouve pour elle.
— Je suis navré–
Il se remémore ses réactions et songe qu'il doit peut-être reformuler.
— Excuse-moi, Moïra. J'ai eu très peur. J'ai cru que–
Sa gorge étrangle les mots.
Il n'a qu'une envie, courir jusqu'au Domaine et prendre Quartz dans ses bras. Lui faire jurer de ne jamais, jamais le quitter.

Il est mortifié de la présence de Luyana, mais visiblement, ça a sauvé Moïra... et la petite fille aime beaucoup, beaucoup sa cousine. Alors Lemony cesse de l'ignorer et tente un sourire vers la préfète.
— A vrai dire, il s'agit d'une pierre et non d'un caillou. Et c'est plus un concept abstrait. Une métaphore ?

Peut-être que Moïra est plus subtile qu'il ne l'a envisagé. Si trouver sa pierre signifie trouver qui il est, la métaphore semble convenir.
Ou qui il doit devenir.
— Peut-être ne suis-je pas encore digne de ma pierre, offre-t-il. Tu as raison, Moïra. Luyana est préfète malgré son jeune âge, et très forte. Elle sait arbitrer les conflits, et rassurer les Serdaigles.
Il sourit toujours tendrement à la petite fille.