De nature très studieuse, avec une atmosphère familiale quelque peu stricte, Tōka reçut le sourire de l'adulte avec douceur. Cette dernière comprit alors que ce rendez-vous ne serait pas académique : en heure de cours, madame St. James aurait accueilli un retard par une réprimande, non un sourire chaleureux. Le passage d’un air frais effleura la Serdaigle silencieuse, faisant danser ses cheveux au passage.

À son tour, elle adressa un sourire légèrement forcé en guise de réponse, en entrant davantage dans la serre. La jeune fille avait l'habitude des entrevues avec des professeurs ; cela n'apaisait pas pour autant une certaine angoisse. Les élèves l'appelaient déjà "Misaki-la-Muette" sur un ton peu cordial. De plus, en tant que Serdaigle, la voir échanger avec une enseignante ne pouvait que renforcer les regards en coin. Elle voulait éteindre ces voix, ne serait-ce qu’un instant. Cet instant, afin de partager sincèrement l’ambiance détendue que cherchait à créer la botaniste.

La Misaki s’empressa de répondre à la requête de son interlocutrice en attrapant l’arrosoir que celle-ci lui tendait délicatement, après avoir trouvé un espace où poser ses effets. Ce n'était pas pour s'exécuter à un ordre, mais elle saisissait l’occasion d’avoir un prétexte pour s’occuper, apaiser son esprit, et cacher un visage trahi par ses émotions. Veillant à ne pas noyer les plants de Dictame, elle versa d’une main peu sereine, le plus délicatement possible. Le moment s’apparentait à un véritable cours. En quoi cela était-il important pour elle ? Ou pour la raison de leur rencontre ? L’Aiglonne ne pouvait répondre à ces interrogations, elle ne s’y attardait d’ailleurs pas plus que ça.

Elle passait l’arrosoir d’un plant à l’autre lorsqu’elle s’arrêta brusquement. Elle tenait maintenant l’objet à deux mains tremblantes. Sonder ses pensées ? Ses souvenirs ? Même avec un filtre, elle ne pouvait garantir d’écarter suffisamment certains. Que montrer, et que garder ? Rien de son passé ne s’abritait de gros et lourds secrets. Pourtant, l’idée d’être lue comme un livre ouvert l’effrayait. [ Père et elle en ont certainement parlé. Il lui a donné son autorisation. Je ne peux pas refuser… ]

Toka baissa sûrement la tête plus bas qu’elle ne l’aurait voulu lorsqu’elle entreprit de finir sa tâche, oubliant la jeune pousse dont elle avait arrêté prématurément d'hydrater. Elle termina par une validation de la tête, toujours en cachant son visage à sa professeure.

Elle se retourna enfin, prête à rendre l'arrosoir. Le bruit de l'eau ruisselant lui permettait de se concentrer sur un son doux et apaisant, lui permettant de regarder l'adulte dans les yeux bien que ses propres yeux voulaient fuir ce contact.