Lemony ne parvient absolument pas à maîtriser sa timidité, encore moins lorsque son professeur se lève pour se placer devant lui.
Il prend conscience qu'il n'est, vraiment, qu'un enfant. C'est perturbant. Avant Poudlard, il se sentait toujours extrêmement important. Au même niveau que les adultes.

Au moins, l'adulte l'a-t-elle cru. Dans une certaine mesure.
L'idée que ce soient ses camarades profitant de la rumeur de Joncheruines qui aient volé ses chaussures met l'enfant au bord des larmes. D'accord, il n'est pas très bien intégré... mais il n'a rien fait de mal, n'est-ce pas ?

— Je, er, j'ignore si ils seraient véritablement cruels, bredouille-t-il la gorge serrée. Mais merci. Je vais continuer à chercher.

Le professeur Spinnet bouge, ce qui a pour effet de tétaniser l'enfant sur place. Elle est tellement impressionnante ! Il en a rencontré, des sorciers puissants, mais aucun n'avait cette aura autour de lui.

Recevoir une paire de chaussette afin qu'il ne prenne pas froid est entièrement, complètement inattendu. Au point où Lemony se semande s'il n'est pas simplement en train de rêver.
Le pire, c'est qu'il s'agit du geste le plus maternel qu'il ait reçu depuis son entrée à Poudlard. La gentillesse désintéressée fait monter des larmes dans sa gorge, qu'il s'efforce de refouler derrière un masque de marbre aristocratique.
— Merci, professeur. Bien entendu, ça reste entre nous. Et je vais... tenter de ne pas me faire voler ma paire de rechange.
Il n'a jamais entendu parler de pensées positives comme arme, mais après tout, ne sont-elles pas à la base du Patronus ? La femme devant lui est la spécialiste, elle sait mieux que personne.

Il ne sait pas quoi ajouter à ce qui ressemble à un sermon, mais un sermon pour l'aider.
"Vous êtes capable de changer".
Il la regarde un peu trop longtemps. L'enfant n'a jamais eu de mauvaise expérience avec le professeur Spinnet ; il ignore pourquoi elle se déprécie autant.
Heureusement pour Lemony qu'elle le terrifie, sans quoi il aurait offert quelques paroles réconfortantes.

A la place, il hoche la tête avec déférence.
— Mais si je change pour devenir... quelqu'un de mauvais ? murmure-t-il à mi-voix.
Ce chemin qu'il lui faut prendre, qu'il sent bien qu'il faut prendre, et que les adultes l'encouragent à parcourir, le terrifie.
Sans doute parce qu'il sait déjà une partie de ce qu'il y trouvera, et cela signifiera aller à l'encontre de tout ce que les Parlambre lui ont enseigné.

Il est tourneboulé lorsqu'il remercie encore la femme avant de sortir de sa salle de classe et de se plaquer contre le mur, la respiration trop forte et les larmes jaillissant de ses yeux.
— Je ne sais pas faire, murmure-t-il le poing collé contre sa bouche. Je ne sais même pas quelle partie de moi est issue de mon éducation aristocratique et quelle partie est juste défectueuse.
La prise de conscience fait très, très mal.

L'intervention du professeur Spinnet a beau avoir été nécessaire, elle n'en est pas moins intensément douloureuse.

Le rire qui franchit les lèvres de la femme met l'enfant en déroute. Pourtant, elle n'est pas en train de se moquer de lui, ni de le prendre de haut. Ce n'est pas un rire cruel, c'est un rire... amer.

Qu'est-il donc arrivé à cette adulte pour qu'il puisse discerner l'amertume ? Lemony déglutit difficilement, un tic nerveux agitant ses doigts de pieds.
Normalement, ce tic est invisible, et c'est pour ça qu'il l'utilise. C'est le seul endroit de son corps qu'il peut bouger à volonté sans que ça ne se voit.
Mais ses pieds encore nu sur le plancher forment une petite mélodie.
— Je– Pourquoi ?
Bien, prolixe, ironise la voix de son oncle dans sa tête.
Lemony s'accroche.
En quatre mois, il n'a pas eu un seul adulte pour le guider, aucun préfet pour lui expliquer ses échecs répétés d'intégration.
Galvaer est partie.
Luyana... le réconforte, mais elle ignore comment l'aider. Peut-être parce que Lemony n'est pas assez ouvert. Comment peut-il donner des informations, lorsqu'il ignore ce qui servira comme arme contre les Parlambre ?

"Mauvais ? Que considérez-vous comme mauvais ?"
Lemony prend purement et simplement la fuite.
Que peut-il répondre ? "Je suis un inverti, je dois lutter toute la journée pour que mes manières de pervers ne se voient pas, et une partie de moi voudrait tout envoyer valser et vivre sans retenir mon souffle ?"
Il tremble encore plus contre le mur.
Parce que jamais encore il n'avait laissé ces pensées être aussi crues dans son esprit.

Les choses ne s'arrangent pas lorsque Lyalee passe devant lui en l'ignorant, comme le font tous les Serdaigles.
L'enfant ignore si à ce stade, le pire serait qu'elle voit ses larmes ou qu'elle respecte sa pudeur et le laisse face à sa détresse.
Tout de suite, Lemony envisage de fuir jusqu'à la Valise, pieds nus pour ne pas mouiller les chaussettes si gentiment prêtées, et pleurer dans la douce fourrure d'Ostara.

Malgré lui, il entend Catherine Spinnet s'adresser à Lyalee. (Son ouïe a toujours été trop fine pour son propre bien. Au point où il s'est parfois demandé si son Don n'était pas, au final, cette audition surpuissante.)
Elle envoie Lyalee vers lui.
C'est, une nouvelle fois, un acte de pure gentillesse qui ne fait qu'augmenter le respect que l'enfant a pour elle.
Et forme plus de questions encore dans son esprit.

Lemony attend, fébrile. Il se balance sur ses talons de plus en plus vite et son souffle augmente.
Il perd le contact avec le réel.
Est-ce que Lyalee est toujours là, ou est-ce qu'elle est partie sans se soucier de lui ?
L'enfant étouffe.

Il doit se raccrocher à quelque chose, et il choisit l'adulte prévenante.
Il revient dans son bureau, les cils collés par les larmes, le menton levé par pur mécanisme de défense.
La simple vue de la femme suffit à briser ça et à le rendre humble. Il inspire, déglutit, s'ancre comme il le peut dans le sol, puis ouvre la bouche :
— Pourquoi les adolescents sont-ils cruels ? Quel intérêt y trouvent-ils ? La cruauté n'a jamais créé d'alliance, l'humiliation ne mène qu'à la vengeance.
Repousse-t-il les limites, Lemony ? Subtilement, le professeur lui a conseillé de ne pas abuser de sa patience.
Ceci étant, il est déjà bien en vrac.

S'il a les outils pour mieux comprendre ses pairs, son quotidien ne peut que s'améliorer, n'est-ce pas ?

Alors oui, revenir dans ce bureau est prendre plusieurs risques, dont celui de répondre à la question "Que considérez-vous comme mauvais ?"
Mais depuis des mois, Lemony est seul avec ses angoisses. Sa honte, ses difficultés à contrôler ses manières, la présence d'autres garçons dans son entourage et le risque constant de tomber amoureux, le bruit qui le submerge alors que les autres n'en ont visiblement rien à carrer, les codes sociaux inaquis, les relations engluées avec les autres.

Il commence à comprendre que s'il ne s'ouvre pas, il dépérira de l'intérieur.