Puisqu'il n'avait plus d'ongles à se ronger, Moredunon commença à se ronger la peau, presque au sang. Et voilà, il avait recommencé. Comment arrivait-il toujours à se fourrer dans les ennuis, même en restant le plus discret et invisible possible, était un vrai mystère. Un mystère qu'il aimerait bien résoudre au plus vite, parce que ça commençait à être lassant.

Pas un mois n'était passé depuis qu'il était entré à Poudlard, et un professeur avait déjà quelque chose à lui reprocher.
Et pas n'importe quel professeur ; celui d'Astronomie, matière à laquelle il n'assistait qu'une fois par semaine, de surcroît. Il se repassait les cours en tête, essayant vainement de trouver la raison qui aurait poussé le professeur Dresden à vouloir le convoquer dans son bureau, mais il ne trouvait rien...

Ah.

Finalement, tout lui revint en tête. Lors du dernier cours d'astronomie, les professeurs Dresden et Flamel avaient choisi de leur présenter et faire pratiquer les sorts utiles en astronomie. C'était tout à fait intéressant, mais la partie pratique avait complètement pris Moredunon au dépourvu. Le garçon avait découvert au cours des dernières semaines que sa magie ne lui obéissait que très rarement, si ce n'est pas du tout. Il avait été incapable de lancer le moindre sort de façon satisfaisante, dans ce cours ou dans les autres.

Allait-il être renvoyé ? Peut-être qu'ils avaient découvert qu'il était une erreur, qu'il n'était pas vraiment un sorcier et qu'il n'avait pas sa place à Poudlard. Allait-il devoir rentrer chez lui, la valise pleine et sans aucune trace de magie ? Ils ne pouvaient pas lui confisquer sa baguette... Si ?

C'est le coeur plein de ses interrogations et la boule au ventre qu'il toqua à la porte du bureau. Trois coups secs, rapides, qui témoignaient de son angoisse et de son hésitation. Quand on l'invita à entrer, il eut clairement envie de s'enfuir en courant. Mais il passa le pas de la porte et s'avança dans la pièce.

* La journée avait été longue pour l'astronome. Des cours ? Il n'en avait pourtant pas eu. Mais lui et son adjoint avaient passé la matinée à corriger des copies et préparer des cours. Ensuite, lorsqu'il avait donné son après-midi à son collègue puisqu'ils avaient terminé leur travail, il s'était attelé à la rédaction de divers papiers liés à ses recherches. Et aussi passionnants que les sujets puissent être, de son point de vue tout du moins, ils avaient le mérite de demander une quantité impressionnante de concentration. Il en était donc arrivé à devoir se poser sur le canapé se trouvant à quelques mètres de son bureau, pour boire un petit thé japonais afin de se relaxer et de se vider l'esprit. Après tout, il devait accueillir un élève en début de soirée qu'il avait convoqué au bureau et se devait donc d'avoir les idées claires pour éclaircir un point qui l'intriguait le concernant.

Les minutes passaient et Toma se demandait justement comment il allait border le sujet avec cet élève. Il ne se considérait clairement pas comme un professeur débutant, ni comme un vétéran, mais il avait déjà eu affaire à de nombreux cas d'élèves particuliers. Pour certains, assez agités, une discussion pour essayer de les comprendre et de canaliser leur énergie pouvait suffire à améliorer les séances en classe. Pour d'autres, c'était le sujet même de la pratique de la magie qui pouvait poser problème. Tous les élèves n'étaient effectivement sur un pied d'égalité sur le plan des capacités magiques lorsqu'ils franchissaient les portes de Poudlard pour la première fois. Finalement, pour d'autres encore, la situation pouvait s'avérer encore plus complexe et il était parfois difficile voire impossible d'aider l'élève suivant le cas. Dans cas du Wyllt, il hésitait. Il n'était clairement pas dans la première catégorie puisqu'il se faisait au contraire très discret en classe. Maintenant, restait à savoir quel était son secret. Jamais il ne forcerait un élève à se confier ou à se dévoiler si ce dernier ne le voulait pas. Mais il avait la discussion, l'échange pour maître mot. Il agirait donc suivant les réactions de ce jeune poufsouffle, si ce dernier prenait déjà la peine de se déplacer jusqu'à son bureau .. Sait-on jamais.

Cette première interrogation trouva rapidement sa réponse lorsqu'il entendit trois coups secs à la porte de la salle de classe. Il se dirigea alors tranquillement, d'un pas calme et assuré, vers l'entrée de la Tour d'Astronomie. Il ouvrit la porte juste avant de se trouver devant le jeune poufsouffle qui semblait relativement inquiet et craintif. Le professeur faisait-il peur à ses élèves lorsqu'il donnait cours pour que son élève semble effrayé à l'idée de converser avec lui ? Ou était-ce plutôt le fait que le Dresden n'ait pas précisé la raison de la convocation qui laissait Moredunon sur ses gardes ? Pour éviter tout malentendu, il lui adressa quelques paroles de bienvenues qui se voulaient chaleureuses puis l'invita à entrer. *

- Bonsoir Moredunon, je suis ravi que tu ai répondu à mon invitation ! Entre donc, nous allons nous installer dans le bureau que je partage avec mon collègue Flamel, nous serons plus à l'aise.

* Joignant le geste à la parole, l'astronome engagea le pas en direction de son bureau, jetant un léger regard en arrière pour s'assurer que le poufsouffle le suivait bien. Une fois arrivé dans ladite pièce qui installait tout de même une atmosphère plus cosy que celle de la salle de classe qui était très grande et impressionnante, Toma s'installa confortablement dans le canapé qu'il venait de quitter quelques minutes plutôt, mais avec un autre objectif en tête cette fois-ci. Lorsque Moredunon fut assis sur un des fauteuils qui faisait face au canapé, l'astronome lui servit un thé supposé aider à la détente afin d'apaiser l'esprit de son invité.

Lorsqu'il eut terminé son service, tous les éléments étant propices à la discussion, Toma entra dans le vif du sujet. *

- Alors, avant toute chose, si je t'ai convoqué ici, ce n'est absolument pas pour te réprimander ou t'envoyer en heure de colle. La discussion qui va suivre n'a rien à avoir là-dedans. En réalité, j'ai remarqué sur les derniers cours auxquels je t'ai vu assister que tu ne semblais pas du tout à ton aise lorsqu'il était question de pratique de la magie. Pour la plupart des élèves, c'est pourtant un des cours qu'ils préfèrent étant donné qu'ils voient cette matière comme très théorique. Mais j'ai senti que ce n'était clairement pas ton cas. Est-ce qu'il y a quelque chose que tu voudrais me dire à ce sujet ?

* S'il ne s'agissait que de se sentir à l'aise ou pas suivant le sujet du cours, Le Dresden n'aurait pas fait l'effort de le convoquer de cette manière et aurait parlé avec lui en fin de cours. Il sentait bien qu'il y avait quelques chose de plus profond. Mais c'était sa manière d’amener le sujet. *

Moredunon suivit son professeur en essayant de calmer les battements de son coeur affolé. Etaient-ce les marches qu'il avait gravi ou le regard perçant que lui avait lancé l'astrologue alors qu'il ouvrait sa porte ? Quoi qu'il en fut, cela avait déchaîné un tambour acharné dans sa poitrine, et ses jambes flageolantes faisaient s'entrechoquer ses genoux dans un concert dissonant. Il espérait qu'il était le seul à les entendre, car cela aurait été fort embarrassant.

Ils traversèrent la salle d'astronomie et entrèrent dans le bureau des professeurs. Bien moins grand que la salle de classe, le bureau était arrondi et tous ses meubles étaient adaptés en conséquences ; le professeur Dresden venait justement de s'installer dans un canapé en forme d'arc de cercle et l'invitait à s'asseoir sur un des petits fauteuils ronds qui parsemait la pièce. La lumière était tamisée, et les quelques lueurs magiques qui flottaient dans la pièce avaient l'air d'étoiles. En plus des murs sombres, tout ceci donnait l'impression à Moredunon qu'ils flottaient dans l'espace.

Quand il revint à lui, il se sentit d'un coup plus calme. Les battements de son coeur s'étaient calmés, et les fragrances douces et chaudes du thé tout juste versé l'aidait d'autant plus. Ses soupçons se confirmèrent quand le professeur lui annonça la raison de sa convocation.

Le petit Poufsouffle baissa la tête et fixa les volutes de fumée qui s'échappaient de sa tasse. Il souffla doucement sur le liquide pour le refroidir et en prit une gorgée. Enfin, il releva la tête et croisa le regard brun de son professeur : il n'y discerna que de la bienveillance. Dans un souffle, il répondit :

- Je ne suis pas très doué en magie.

Il lui fallut amasser un peu plus de courage pour continuer. Après une bref pause et une nouvelle gorgée brûlante de thé, il poursuivit :

- Je peux apprendre n'importe quoi, connaître toute la théorie sur le bout des doigts, et le vouloir de tout mon coeur, mais la magie... La magie ne m'obéit pas. C'est comme ça depuis que je suis arrivé, et si j'y réfléchis bien, ça remonte à plus loin.

Tout en parlant, il triturait quelques fils qui dépassaient de son uniforme. Il avait beaucoup de mal à soutenir le regard du professeur, dont l'attention restait fixé sur lui. Il avait du mal à supporter les regards, et l'attention en général... Il se sentait beaucoup mieux calfeutré dans un coin de la bibliothèque avec un gros livre sur les genoux.

* Patient, calme et tentant de renvoyer l'image la plus bienveillante possible, Toma écouta tranquillement le jeune première année. Se livrer, parler de quelque chose qui pouvait être profondément ancré au point de créer un malaise important chez un jeune garçon pouvait être un exercice on ne peut plus difficile. D'autant plus qu'il le savait, se sentir suffisamment en sécurité pour décider de se dévoiler à un adulte pouvait être une étape à la fois cruciale dans un processus d'échange et de dialogue, mais également dangereuse si l'interlocuteur en face était mal intentionné. Bien heureusement pour Moredunon, l'intention de Toma était tout à fait louable et il avait toujours à cœur d'aider les jeunes sorciers à déployer leur potentiel, et ce peu importe leur point de départ. L'adaptation au monde magique n'étant clairement pas la même pour tous, il se devait de laisser la porte ouverte à la parole et à l'échange.

Ayant l'habitude de voir Moredunon très discret et peu enclin à se mettre en avant pendant les cours, le Dresden se serait attendu à patienter de longues minutes avant d'arriver à un début de discussion. Et à sa grande surprise, ce ne fut pas le cas. Le poufsouffle se décida à communiquer et il répondit sans langue de bois et sans détour à la question posée Au moins, l'astronome n'aurait pas à passer par quatre chemins pour le mener au point qu'il voulait aborder avec son élève.

Il ne put toutefois s'empêcher de sourire lorsque Moredunon eut terminé sa réponse. A peine délivrée, il se remit dans une légère position défensive. Etait-ce de la crainte ? De la peur du jugement ? En même temps, c'était totalement compréhensible. Aborder un tel sujet devant un professeur pouvait constituer pour certain un aveu de faiblesse, ou alors une peur que la situation ne puisse s'améliorer. Dans tous les cas l'astronome se reconnaissait en quelques sorte dans le profil du jeune poufsouffle et poursuivit le dialogue dans le même ton qu'il avait initié quelques minutes plus tôt. *

- Avant toute chose, je te remercie de t'être livré de cette manière à moi sans faire de détour ou sans tourner autour du pot. Je peux imaginer à quel point la situation peut être complexe à gérer, surtout lorsqu'on entre dans cet univers, si on n'a pas toutes les clés pour le comprendre, et donc comprendre également ce qu'on juge comme étant normal ou non vis à vis de ses propres capacités.

* Étant donné que le discours de Moredunon lui rappelait sa propre expérience, d'une certaine manière, il avait justement besoin d'en savoir plus sur sa jeune vie avant son arrivée à l'école. Le contexte familial ou l'environnement pouvait grandement jouer sur les capacités d’adaptation d'un jeune sorcier, et il en savait quelque chose. Avoir ces informations aiderait sans doute Toma à mieux comprendre le cas de son élève. *

- Il se trouve que, d'une certaine manière, j'étais un peu dans ton cas lorsque j'avais ton âge. Mais comme chaque histoire est unique, j'aimerai que tu m'en dises un peu plus sur l'endroit d'où tu viens. Comment tu te sens dans ta famille. Est-ce qu'ils sont liés au monde magique ou pas. Ce genre de choses. Nous avons tous des parcours différents en arrivant à Poudlard, donc il n'y a aucun jugement.

Il voulait bien l'admettre, il tremblait presque de peur tant son appréhension le rongeait. Il n'avait aucun moyen d'être sûr de la réaction du professeur Dresden, qui pouvait tout aussi bien le rassurer comme le renvoyer dans son dortoir avec un regard sévère. Après tout, qu'avait-il à faire des petits soucis d'un pauvre première année ? Son angoisse atteignait des records quand le professeur lui répondit. Il n'était pas sûr de saisir ce que l'adulte lui expliquait, mais il n'osait pas demander des précisions. Et de toute façon l'astronome venait de lui poser une question à laquelle il lui fallait réfléchir un moment.

Car à toutes les questions, Moredunon avait découvert qu'il existait plusieurs réponses. La vérité bien sûr, mais aussi des versions atténuées ou alternatives selon la personne qui posait les questions. Moredunon, par défaut, répondait toujours par la vérité, mais il avait réalisé petit à petit que ce n'était pas toujours ce que les gens voulaient entendre.

Qu'est-ce que le professeur Dresden voulait entendre ? Avec ses yeux bruns doux et son sourire engageant, tous les signes pointaient vers la vérité ; mais encore une fois Moredunon s'était déjà trompé dans sa lecture des signes par le passé...

Les battements anarchiques de son coeur reprenaient de plus belle. Il allait faire une crise d'angoisse si il ne se détendait pas très vite...
Sa famille. Sa mère. Il voyait les yeux sombres de sa mère, qui le toisaient bien au-dessus de lui, sévère, austère, apathique mère qui l'avait élevé seul sans demander la moindre aide à personne. Sa moldue de mère, qui n'avait eu aucun mal à croire en la magie, qui n'avait même pas semblé surprise quand son fils avait reçu la lettre, qui avait à peine bronché en l'envoyant seul dans un autre pays.

Bizarrement, le recul qu'avait toujours eu sa mère le rassurait. Cela lui permettait d'écarter ses propres sentiments, et surtout ces peurs qui surgissaient en terrain inconnu. Il prit une grande gorgée de thé.

- C'était que ma mère et moi. Ma mère n'a pas de pouvoirs magiques, mais elle m'a dit que mon père en avait, apparemment. Moi je ne l'ai jamais connu. Ma mère ne m'en parle jamais, alors je ne sais même pas si il est allé à Poudlard, ou même si il est encore en vie, ou...

Il dut s'arrêter en pleine phrase pour prendre une grande inspiration. Toute sa rancoeur envers cette situation remontait à la surface, comme si quelqu'un avait ouvert des valves qu'il n'arrivait pas à refermer.

- Je ne sais rien sur lui en fait ! Et c'est quand même vachement gonflé de m'envoyer ici alors que j'ai rien demandé, et que j'y connais rien à la magie, et puis il aurait pu au moins me laisser une lettre ou quelque chose, pour que je puisse m'y préparer !

Les larmes lui montaient aux yeux alors que des sanglots serraient sa gorge et l'empêchaient de parler.

* Toma était satisfait de voir que son élève avait bien fini par se livrer. Mais sa réponse était malheureusement accompagnée d'une certaine douleur latente et visible. Ne pas connaître un de ses deux parents. Le professeur ne pouvait imaginer les différents tourments qu'avait dû endurer Moredunon suite à cette absence et les milliers de questions potentielles que cela laissait en suspens. Et de manière générale, son contexte familial n'avait pas l'air, lui non plus, d'être un élément propice à un bon développement. Ou à défaut, un environnement qui lui permette un tant soit peu d'anticiper son arrivée dans le monde magique. Chaque parent moldu réagissait de manière lors de la découverte des pouvoirs de leur enfant et il devait avouer qu'une absence de réaction, au contraire, était quelque peu inédite et en disait beaucoup sur le caractère de celle qui l'avait élevé.

Quoiqu'il en soit, l'astronome était face à un élève visiblement en souffrance, en manque de réponse et en recherche de repère. Toma l'avait sentit dès le début et cela ne faisait que se confirmer d'instant en instant : leurs situations étaient certes différentes mais il arrivait tout de même à s'identifier à Moredunon, au travers de sa propre expérience dans ses jeunes années. Il sentait donc qu'il avait une sorte de devoir, qu'il devait l'aider.

Devant la détresse de son élève, le Dresden ne pouvait qu'adopter une attitude désolée et jouer franc jeu concernant la portée de l'aide qu'il pouvait apporter. *

- Ecoute, pour être franc je ne peux pas dire que j'ai connu une situation comme la tienne, je ne peux qu'essayer de la comprendre. Et je dois dire qu'elle est loin d'être facile à vivre.

* Il décida alors d'adopter une attitude plus positive pour changer le rythme de l'échange et opérer un tournant dans l'ambiance de la salle qui commençait à devenir un peu triste à son goût. Il devait donner envie au jeune poufsouffle d'aller dans la bonne direction. *

- Cependant, tout n'est pas perdu ! Au contraire d'ailleurs ! Tu vient d'entrer à l'école et dans ce monde magique. Tu as donc encore beaucoup de choses à découvrir. Tu verras bien assez vite que des sorciers comme toi peuvent trouver leur place, même si cette place peut demander un peu plus de recherche qu'à d'autres élèves.

* Arborant cette fois-ci un grand sourire engageant, contrastant totalement avec la figure désolé qu'il affichait quelques secondes auparavant, il se mit à regarder toute la salle dans laquelle ils se trouvaient tous les deux avant de finalement reporter son regard sur Moredunon. *

- Tu vois, quand j'avais ton âge, j'essayais moi aussi de trouver ma place. Et mon arrivée au château m'a permis de mettre du sens sur tout ça. La découverte de tout ce monde des étoiles m'a rapidement fasciné et j'ai décidé un peu plus tard d'en faire mon métier. Et toi alors, est-ce qu'il y a des choses au château qui t'intéressent, malgré tout ce qui peut te faire peur à côté ? Et je ne te demande évidemment pas de répondre l'astronomie juste parce qu'on parle toi et moi, mais vraiment des choses qui te font sentir un peu plus à l'aise, qui t'interrogent - dans le bon sens bien sûr.

* Il avait accompagné ses deux dernières phrases d'un petit clin d’œil. Il voulait vraiment mettre à l'aise le jeune homme, l'encourager à poursuivre cet échange dans une ambiance plus sereine et calme. *